Maintien du décret d’acte : une victoire de la profession

13 juin 2009

Noel 2008, notre pro­fes­sion a fait la une de l’actua­lité, avec la mort d’un enfant de trois ans la nuit de Noël (erreur de pro­duit) et celle d’un bébé de six mois lors du Jour de l’An (erreur de débit). Cruelle façon pour le public de réa­li­ser le très haut niveau de res­pon­sa­bi­li­tés qu’ont chaque jour les 500.000 infir­miè­res qui exer­cent en France. Notre pro­fes­sion doit veiller au main­tien des com­pé­ten­ces pour assu­rer des soins de qua­lité : la bataille sur le « décret d’acte » en est une illus­tra­tion.

Avant tout, il faut sortir d’une vision binaire « décret d’acte » contre « logi­que de mis­sion ». Il y a effec­ti­ve­ment deux choses bien dis­tinc­tes :
 d’une part, l’arti­cle 17 du projet de loi Bachelot « Hôpital Patient Santé Territoires », concer­nant la coo­pé­ra­tion entre pro­fes­sions de santé : « les pro­fes­sion­nels de santé peu­vent s’enga­ger dans une démar­che de coo­pé­ra­tion ayant pour objet d’opérer entre eux des trans­ferts d’acti­vi­tés ou d’actes de soins ou de réor­ga­ni­ser leurs modes d’inter­ven­tion auprès du patient. Ils inter­vien­nent dans les limi­tes de leurs connais­san­ces et de leur expé­rience ainsi que dans le cadre des pro­to­co­les défi­nis », là le cadre est clair, il ne concerne que les 14 pro­fes­sions de santé régle­men­tées, qui sont à Bac + 3, avec les com­pé­ten­ces néces­sai­res.
 d’autre part, le projet de texte pro­posé par la DHOS le 11 juillet 2008, et refusé par l’ensem­ble des orga­ni­sa­tions consul­tées, et pour­tant repris de manière iden­ti­que par la Mission Bressand (ce qui montre la volonté réelle de la concer­ta­tion de lDHOS) avec en par­ti­cu­lier l’ouver­ture à la déqua­li­fi­ca­tion car l’IDE “accom­plit ses mis­sions en rela­tion avec les autres pro­fes­sion­nels, notam­ment dans le sec­teur de la santé, le sec­teur social et médico-social et le sec­teur éducatif.”, ce qui auto­ri­se­rait toutes les déri­ves, en par­ti­cu­lier l’intro­duc­tion en géria­trie des “assis­tants de géron­to­lo­gie” (type auxi­liai­res de vie for­mées en 3 mois et auto­ri­sées à dis­tri­buer les médi­ca­ments en extra-hos­pi­ta­lier), au bloc des “tech­ni­ciens de blocs opé­ra­toi­res” (à la place des IBODE), etc.

Ainsi, le 22 octo­bre 2008, lors des jour­nées annuel­les de la Société fran­çaise de géria­trie et de géron­to­lo­gie (SFGG), la DHOS a pré­senté les nou­veaux métiers prévus dans le plan Alzheimer : "Le métier d’assis­tant de soins en géron­to­lo­gie sera notam­ment acces­si­ble aux aides-soi­gnants, aux aides médico-psy­cho­lo­gi­ques (AMP) et aux auxi­liai­res de vie sociale. Ces pro­fes­sion­nels pour­ront inter­ve­nir en ser­vi­ces de soins infir­miers à domi­cile (Ssiad), en établissement d’héber­ge­ment pour per­son­nes âgées dépen­dan­tes (Ehpad) et en soins de suite et de réa­dap­ta­tion (SSR)".

Sur le fond, nous sommes loin des pra­ti­ques avan­cées entre pro­fes­sions de santé régle­men­tées, trai­tées par l’arti­cle 17 du projet de loi HPST : cette logi­que de mis­sion enca­dre les expé­ri­men­ta­tions Berland et permet les trans­ferts de com­pé­ten­ces entre pro­fes­sions de santé régle­men­tées. Si cet arti­cle sti­pu­lait l’aval de l’Ordre des Infirmiers et pas seu­le­ment celui de la HAS, il serait par­fait. Nous comp­tons sur les amen­de­ments par­le­men­tai­res pour intro­duire l’avis des pro­fes­sion­nels dans cette pro­cé­dure aujourd’hui sim­ple­ment bureau­cra­ti­que.

Sur la forme juri­di­que :
 de sa créa­tion en 1981 à sa der­nière ver­sion en 2002, notre texte fon­da­men­tal était un décret. Il a été inté­gré en 2004 au Code de la Santé Publique, et est au niveau maxi­mum du règle­men­taire, le Décret en Conseil D’Etat (une modi­fi­ca­tion relève de l’inter­mi­nis­té­riel, de l’avis du Conseil d’Etat, de la signa­ture du Premier Ministre).
 au nom de la sou­plesse, il est pro­posé de le rétro­gra­der au niveau mini­mum du règle­men­taire, à savoir l’arrêté, ce qui signi­fie qu’il peut être modi­fié régu­liè­re­ment, à tout moment, au bon vou­loir du seul Ministre de la Santé : l’actua­lité récente nous a mon­trer à quel point le temps de la concer­ta­tion est néces­saire pour éviter la sortie rapide de textes ina­dap­tés (l’ins­crip­tion des don­nées de santé dans le fichier Edwige a été condamné par l’Ordre des Médecins).
 depuis 1981, notre Décret d’acte a été régu­liè­re­ment réac­tua­lisé pour suivre l’évolution des pra­ti­ques. Le fait d’être ins­crit au Code de la Santé Publique n’a pas été un frein à l’élargissement de nos pra­ti­ques ces der­niers mois (pres­crip­tion des dis­po­si­tifs médi­caux, vac­ci­na­tion anti­grip­pale sans pres­crip­tion, etc.).

Voila pour­quoi le SNPI (repré­sen­tant les infir­miè­res sala­riées) et la FNI (prin­ci­pal syn­di­cat des libé­raux) ont lancé la péti­tion en mai la péti­tion « Touche pas à mon décret ». Les Conseils Départementaux de l’Ordre des Infirmiers ont ensuite exprimé leur désac­cord en juillet, puis l’ensem­ble des orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les repré­sen­ta­ti­ves en juillet.

Lors du Salon Infirmier de novem­bre, la Ministre a tran­ché dans le conflit qui oppo­sait les pro­fes­sion­nels infir­miers à la DHOS "votre décret de com­pé­ten­ces res­tera un décret en conseil d’Etat". Grace à la mobi­li­sa­tion de la pro­fes­sion, avec en par­ti­cu­lier plus de 12.000 péti­tions "Touche pas à notre décret", la Ministre a décidé de mettre fin aux vel­léi­tés de la DHOS (Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins) de sup­pri­mer notre décret d’actes pour faire ren­trer de "nou­veaux métiers" peu qua­li­fiés, peu formés et peu payés dans les hôpi­taux de géria­trie (ou les tech­ni­ciens de bloc opé­ra­toire dans les cli­ni­ques).

La force de la pro­fes­sion est d’avoir pu pour la pre­mière fois résis­ter à la pres­sion de l’admi­nis­tra­tion, qui confond « trans­fert d’actes » et « trans­fert de com­pé­ten­ces ». Des évolutions d’une pro­fes­sion à l’autre, il y en a tou­jours eut, et cela va conti­nuer, mais il faut que les acteurs com­pren­nent ce qu’ils font. Une auxi­liaire de vie est un tra­vailleur social qui n’a pas eut une minute de for­ma­tion sur les médi­ca­ments : com­ment peut-elle dépis­ter un sur­do­sage ou un effet secondaire chez une per­sonne âgée qui prend des dizai­nes de com­pri­més chaque jour de sa vie ?

Il n’y a donc pas oppo­si­tion entre « logi­que de mis­sion » (entre pro­fes­sions régle­men­tées) et main­tien du « décret d’acte » (qui pré­serve des nou­veaux métiers en lis­tant les actes qui relè­ve­raient d’un exer­cice illé­gal). Dans quel­ques années, lors­que l’Ordre des Infirmiers aura acquit une assise suf­fi­sante, nous pour­rons même nous passer d’un « décret d’actes », car il ser­vira de Gardien du Temple, pour défen­dre la qua­lité des soins dis­pen­sés à la popu­la­tion, face aux déri­ves comp­ta­bles de l’admi­nis­tra­tion.

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