PMI : 80 ans et un avenir qui se joue maintenant

PMI : 80 ans et un avenir qui se joue maintenant

16 novembre 2025

Quatre-vingts ans après sa créa­tion, la Protection mater­nelle et infan­tile PMI reste l’un des rares ser­vi­ces publics capa­bles d’agir là où tout se joue : les pre­miè­res années de vie. Né en 1945 pour lutter contre une mor­ta­lité infan­tile alors dra­ma­ti­que, ce dis­po­si­tif ter­ri­to­rial gra­tuit accom­pa­gne aujourd’hui femmes encein­tes, jeunes enfants et famil­les dans un contexte social et sani­taire de plus en plus tendu. Derrière la lon­gé­vité de la PMI, il y a sur­tout une pro­fes­sion : celle des infir­miè­res, géné­ra­lis­tes et pué­ri­cultri­ces, dont l’action demeure le cœur bat­tant de la pré­ven­tion en France.

En 1945, le pays sort meur­tri de la guerre. Les décès infan­ti­les dépas­sent les 100 ‰, les soins sont iné­ga­le­ment acces­si­bles, la nutri­tion des nour­ris­sons est incer­taine. La réponse publi­que est ambi­tieuse : visi­tes à domi­cile, consul­ta­tions gra­tui­tes, accom­pa­gne­ment de la gros­sesse, sur­veillance des modes d’accueil, bilans en école mater­nelle. Pendant plu­sieurs décen­nies, la PMI contri­bue à réduire les iné­ga­li­tés, à sou­te­nir les mères iso­lées, à repé­rer les trou­bles pré­co­ces.

Mais depuis vingt ans, les aler­tes s’accu­mu­lent. Les consul­ta­tions dimi­nuent, les effec­tifs s’ame­nui­sent, les postes médi­caux res­tent vacants, les iné­ga­li­tés ter­ri­to­ria­les s’accen­tuent. Dans cer­tains dépar­te­ments, les retours à domi­cile après la nais­sance ne béné­fi­cient plus d’une visite sys­té­ma­ti­que. Dans d’autres, les bilans de mater­nelle sont repous­sés ou sup­pri­més. Les famil­les les plus vul­né­ra­bles se retrou­vent face à des gui­chets satu­rés, alors qu’elles sont pré­ci­sé­ment celles pour les­quel­les ce ser­vice a été créé.

"Si la PMI tient encore debout, c’est grâce à ses équipes, et en pre­mier lieu grâce aux infir­miè­res IDE et IPDE : deux niveaux de com­pé­ten­ces au ser­vice d’une même mis­sion" sou­li­gne Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI.

Les infir­miè­res géné­ra­lis­tes (IDE) assu­rent l’essen­tiel des consul­ta­tions et des visi­tes à domi­cile. Elles obser­vent les inte­rac­tions parent-enfant, accom­pa­gnent les pre­miers jours de vie, sou­tien­nent l’allai­te­ment, repè­rent la dénu­tri­tion et les trou­bles de déve­lop­pe­ment, orien­tent les famil­les vers les acteurs sociaux et médi­caux. Elles sont sou­vent les pre­miè­res à entrer dans les foyers, les pre­miè­res à iden­ti­fier les situa­tions de danger ou de vul­né­ra­bi­lité silen­cieuse.

Les infir­miè­res pué­ri­cultri­ces (IPDE) ajou­tent à cette mis­sion une exper­tise spé­ci­fi­que de la petite enfance. Leur for­ma­tion appro­fon­die en pédia­trie, déve­lop­pe­ment et paren­ta­lité en fait des pro­fes­sion­nel­les clés pour les bilans de santé en mater­nelle, l’évaluation des modes d’accueil, l’accom­pa­gne­ment des nour­ris­sons fra­gi­les, la pré­ven­tion des acci­dents domes­ti­ques, la dépis­tage pré­coce des trou­bles neu­ro­sen­so­riels ou psycho-affec­tifs. Leur rôle est reconnu comme struc­tu­rant depuis le rap­port Peyron. Pourtant, leur pré­sence recule dans plu­sieurs dépar­te­ments, rem­pla­cées par des pro­fes­sion­nels moins formés aux enjeux du 0-6 ans. Une dérive qui fra­gi­lise la sécu­rité des enfants autant que la qua­lité du ser­vice public.

Une montée des vul­né­ra­bi­li­tés que la PMI ne peut plus absor­ber seule

La France connaît aujourd’hui une dégra­da­tion silen­cieuse de la santé des plus jeunes. La mor­ta­lité infan­tile repart à la hausse. Des enfants dor­ment dehors. D’autres souf­frent de caren­ces nutri­tion­nel­les que l’on croyait dis­pa­rues. Les trou­bles du lan­gage, du com­por­te­ment ou du som­meil explo­sent. Les famil­les iso­lées cumu­lent pré­ca­rité économique, dif­fi­cultés psy­chi­ques, loge­ments insa­lu­bres.

La PMI est l’un des rares dis­po­si­tifs capa­bles d’agir en amont, sans condi­tion de res­sour­ces, sans avance de frais, sans bar­rière admi­nis­tra­tive. C’est là que se mesu­rent les ten­sions contem­po­rai­nes : ce sont les mêmes infir­miè­res qui doi­vent répon­dre à l’urgence sociale, aux inquié­tu­des paren­ta­les, aux retours de mater­nité, aux besoins de dépis­tage, aux réo­rien­ta­tions vers les ser­vi­ces sociaux, aux vio­len­ces intra­fa­mi­lia­les. Avec des effec­tifs insuf­fi­sants, la pré­ven­tion s’effi­lo­che, et la perte de chance gran­dit.

L’atout majeur de la PMI n’est ni sa struc­ture admi­nis­tra­tive, ni son ancien­neté. C’est son modèle rela­tion­nel. L’infir­mière, qu’elle soit IDE ou IPDE, prend le temps d’obser­ver, d’écouter, de com­pren­dre ce qui se joue dans un foyer. Elle voit les signaux fai­bles : un nour­ris­son qui ne suit plus sa courbe, une mère qui s’isole, un tout-petit qui ne répond pas au regard, un envi­ron­ne­ment sur­chargé de fac­teurs de risque. Ce tra­vail cli­ni­que, dis­cret et patient, pro­tège des mil­liers d’enfants chaque année. Il repose sur un cadre éthique : res­pect, non-juge­ment, sou­tien à la paren­ta­lité, capa­cité à inter­ve­nir au bon moment. Aucun algo­rithme, aucun télé­ser­vice, aucune pla­te­forme ne peut rem­pla­cer cette pré­sence.

Pour que les 80 ans de la PMI soient autre chose qu’une com­mé­mo­ra­tion, quatre déci­sions poli­ti­ques s’impo­sent :

- 1 Reconstruire les équipes infir­miè­res.
Sans recru­te­ment, sans fidé­li­sa­tion, sans attrac­ti­vité, la PMI conti­nuera de s’effri­ter. Le ser­vice public de la petite enfance et de la paren­ta­lité néces­site des effec­tifs sta­bles, formés et sou­te­nus.

- 2 Protéger la spé­cia­lité des pué­ri­cultri­ces.
La sub­sti­tu­tion par des per­son­nels moins qua­li­fiés fra­gi­lise la pré­ven­tion. Le pays doit réin­ves­tir dans la for­ma­tion IPDE, sécu­ri­ser leurs postes et reconnaî­tre leur exper­tise. Il faut élargir le champ d’inter­ven­tion des pué­ri­cultri­ces pour leur per­met­tre un suivi auto­nome des nour­ris­sons. L’Etat doit faire abou­tir la refonte de leur for­ma­tion, et leur reconnai­tre le grade Master.

- 3 Restaurer la prio­rité natio­nale donnée à la pré­ven­tion 0-6 ans.
Les pre­miè­res années condi­tion­nent toute la santé future. Investir dans la PMI n’est pas un coût : c’est un amor­tis­seur social, un levier d’équité et un outil de santé publi­que. Il faut sys­té­ma­ti­ser les visi­tes à domi­cile après la nais­sance, par­ti­cu­liè­re­ment pour les famil­les pré­cai­res ou iso­lées en créant des unités mobi­les de suivi péri­na­tal avec des infir­miè­res et des pué­ri­cultri­ces pour aller au contact des famil­les qui ne se dépla­cent pas en centre de santé, en par­ti­cu­lier pour le dépis­tage des infec­tions, de la jau­nisse et des trou­bles ali­men­tai­res.

- 4 Mieux arti­cu­ler PMI, hôpi­tal, méde­cine de ville et pro­tec­tion de l’enfance.
Les rup­tu­res de par­cours créent les drames. Les infir­miè­res de PMI doi­vent être plei­ne­ment reconnues comme pivot entre les acteurs. Il faut encou­ra­ger une meilleure coor­di­na­tion entre les hôpi­taux, les PMI et les pro­fes­sion­nels libé­raux pour éviter les rup­tu­res de suivi.

Un ser­vice public qui pro­tège l’avenir

La PMI fête ses 80 ans, mais ses mis­sions n’ont jamais été aussi actuel­les. Elle reste l’un des rares lieux où une pro­fes­sion­nelle peut voir un enfant gra­tui­te­ment, rapi­de­ment, dura­ble­ment. Là où la déser­ti­fi­ca­tion médi­cale s’aggrave, où les iné­ga­li­tés explo­sent, où les débuts de vie se fra­gi­li­sent, elle incarne une exi­gence : ne lais­ser aucun enfant sans repère, aucun parent sans sou­tien, aucun risque sans réponse.

Ce qui pro­tège un pays, ce sont ses poli­ti­ques de pré­ven­tion. Et ce qui pro­tège la pré­ven­tion, ce sont les infir­miè­res. Les 80 ans de la PMI rap­pel­lent une vérité simple : l’avenir d’une géné­ra­tion se joue dans les pre­miè­res années, et la France ne peut se per­met­tre de l’oublier.

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Voir également :
 Bébés qui meu­rent, enfants qui dor­ment dehors : le double aban­don fran­çais
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Bebes-qui-meu­rent-enfants-qui-dor­ment-dehors-le-double-aban­don-fran­cais.html
 Mortalité infan­tile : et si les infir­miè­res étaient la réponse que la France ignore ?
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Mortalite-infan­tile-et-si-les-infir­mie­res-etaient-la-reponse-que-la-France.html
 Inflation, pré­ca­rité et caren­ces : en France, des enfants souf­frent du scor­but
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Inflation-pre­ca­rite-et-caren­ces-en-France-des-enfants-souf­frent-du-scor­but.html

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