Bébés qui meurent, enfants qui dorment dehors : le double abandon français

29 août 2025

En France, en 2025, deux chif­fres devraient nous empê­cher de dormir. D’un côté, la mor­ta­lité infan­tile en hausse régu­lière en France, bri­sant un demi-siècle de pro­grès. De l’autre, des mil­liers d’enfants dor­ment dehors, faute de places d’héber­ge­ment.

Deux réa­li­tés dif­fé­ren­tes mais liées : la pau­vreté, le mal-loge­ment, la fra­gi­li­sa­tion des poli­ti­ques socia­les, l’aban­don des plus vul­né­ra­bles. Deux angles morts d’un pays qui se reven­di­que patrie des droits de l’homme mais qui laisse mourir ses bébés plus sou­vent que ses voi­sins, et dormir dehors ses enfants les plus fra­gi­les. Le drame se joue en silence, loin des pro­jec­teurs et des slo­gans. L’his­toire d’un pays qui n’assume plus sa res­pon­sa­bi­lité pre­mière, pro­té­ger ses enfants.

La France n’est plus le bon élève de l’Europe. Alors que la mor­ta­lité infan­tile (décès avant un an) a chuté dans la plu­part des pays depuis vingt ans, elle remonte chez nous. La France se classe désor­mais 23e sur 27 pays de l’Union euro­péenne, der­rière la Pologne, la République tchè­que ou encore la Slovénie. Des cen­tai­nes de vies per­dues, silen­cieu­se­ment.

Au-delà des fac­teurs com­muns à tous les pays (âge mater­nel plus élevé, aug­men­ta­tion de l’obé­sité, du taba­gisme ou des nais­san­ces pré­ma­tu­rées), des causes spé­ci­fi­que­ment fran­çai­ses expli­quent cette dégra­da­tion :
 fer­me­ture de nom­breu­ses mater­ni­tés de proxi­mité, qui oblige cer­tai­nes femmes à par­cou­rir des dizai­nes de kilo­mè­tres avant d’accou­cher
 iné­ga­li­tés socia­les de santé qui s’accen­tuent et pèsent lourd sur les nour­ris­sons nés dans des famil­les pré­cai­res
 accès insuf­fi­sant aux soins pré­na­taux et post­na­taux, accen­tué dans les déserts médi­caux, avec un manque de sages-femmes, de pué­ri­cultri­ces
 ser­vi­ces de Protection mater­nelle et infan­tile (PMI), censés assu­rer le relais, aujourd’hui débor­dés, par­fois fermés
 condi­tions de vie dégra­dées, loge­ment insa­lu­bre ou absence de loge­ment
 sous-inves­tis­se­ment chro­ni­que dans la pré­ven­tion et la santé publi­que.

➡️ Résultat : alors que l’Europe réduit les décès évitables, la France compte chaque année davan­tage de ber­ceaux vides. Cette contre-per­for­mance reflète l’impact direct des choix poli­ti­ques. Quand la santé des femmes encein­tes et des nour­ris­sons devient varia­ble d’ajus­te­ment bud­gé­taire, les sta­tis­ti­ques finis­sent par comp­ter des cer­cueils trop petits.

Le même aban­don frappe ceux qui sur­vi­vent à la nais­sance mais n’ont pas de toit. Selon le der­nier baro­mè­tre publié par l’UNICEF France et la Fédération des acteurs de la soli­da­rité, 2 043 enfants étaient sans solu­tion d’héber­ge­ment dans la nuit du 19 août 2025, soit une aug­men­ta­tion de 120 % par rap­port à 2020. Parmi eux, 467 ont moins de trois ans.

Le chif­fre est gla­çant. Mais il est encore en des­sous de la réa­lité, car nombre de famil­les ces­sent d’appe­ler le 115 après des refus répé­tés (à Paris, près de 70 % des sans-abri n’appel­lent plus le 115). Enfin, les mineurs non accom­pa­gnés et les famil­les vivant en bidon­vil­les ne sont pas comp­ta­bi­li­sés.

Le sys­tème d’héber­ge­ment est saturé, triant les plus vul­né­ra­bles. À tel point que, dans cer­tains ter­ri­toi­res, même les femmes encein­tes et les nour­ris­sons ne sont plus prio­ri­tai­res. Un ren­ver­se­ment moral, mais aussi juri­di­que : l’accueil incondi­tion­nel est pour­tant ins­crit dans le Code de l’action sociale et des famil­les.

Les causes sont connues. Depuis des années, les gou­ver­ne­ments mul­ti­plient les mesu­res de court terme et détri­co­tent les pro­tec­tions exis­tan­tes : affai­blis­se­ment de la loi SRU (qui impose aux com­mu­nes un quota de loge­ments sociaux), baisse des APL et sta­gna­tion des aides. Le budget 2024 de l’héber­ge­ment d’urgence a été réduit de 100 mil­lions de moins qu’en 2023 !

➡️ Résultat : des mil­liers d’enfants dor­ment dans la rue ou dans des hôtels insa­lu­bres. Plus de 28.659 enfants étaient héber­gés à l’hôtel dans la nuit du 19 août 2024, par­fois depuis plu­sieurs années. En Île-de-France, la durée moyenne de séjour atteint 44 mois. Presque quatre ans de vie d’enfant dans une cham­bre de neuf mètres carrés, sans cui­sine ni espace de jeu. Comment appren­dre à mar­cher, jouer, gran­dir dans un tel uni­vers ?

La France affi­che pour­tant une « poli­ti­que des 1 000 pre­miers jours », censée garan­tir des condi­tions de déve­lop­pe­ment favo­ra­bles aux jeunes enfants. Mais ce sont pré­ci­sé­ment les bébés qui sont les plus tou­chés. Dans la nuit du 19 août, 129 nour­ris­sons de moins d’un an ont dormi dehors. Comment parler de pré­ven­tion des iné­ga­li­tés quand les bébés n’ont pas de lit ? Comment pré­ten­dre pro­té­ger l’enfance quand elle com­mence par l’errance ?

Les infir­miè­res aler­tent : la petite enfance est sacri­fiée, l’errance rési­den­tielle fra­gi­lise la santé des femmes encein­tes et com­pro­met le déve­lop­pe­ment des bébés. Malnutrition, rup­tu­res de soins, insé­cu­rité per­ma­nente : autant de bombes à retar­de­ment pour leur avenir.

La dis­so­lu­tion de l’Assemblée natio­nale en 2024 a stoppé net le projet de loi sur le loge­ment abor­da­ble. Les arbi­tra­ges bud­gé­tai­res de 2025, sous contrainte d’aus­té­rité, lais­sent crain­dre de nou­vel­les coupes. Les infir­miè­res redou­tent une aggra­va­tion rapide, pas une amé­lio­ra­tion.

"Les infir­miè­res géné­ra­lis­tes et pué­ri­cultri­ces sont les gran­des absen­tes des poli­ti­ques péri­na­ta­les", sou­li­gne Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI. "On conti­nue à sous-exploi­ter leurs com­pé­ten­ces, alors qu’elles pour­raient jouer un rôle cen­tral dans le par­cours des 0-6 ans, notam­ment dans les zones rura­les."

Les orga­ni­sa­tions aler­tent, mais ne sont pas enten­dues. L’UNICEF France et la FAS récla­ment une loi de finan­ces rec­ti­fi­ca­tive pour ajou­ter aux 203.000 places actuel­les d’héber­ge­ment, 10.000 places sup­plé­men­tai­res en 2025. Ainsi qu’une pro­gram­ma­tion plu­rian­nuelle incluant la cons­truc­tion de 200.000 loge­ments sociaux par an, dont 60.000 très sociaux. Ces recom­man­da­tions rejoi­gnent celles du Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Elles ne sont pas des options, mais des obli­ga­tions inter­na­tio­na­les.

Hausse de la mor­ta­lité infan­tile, explo­sion du nombre d’enfants à la rue : deux crises en appa­rence dis­tinc­tes, mais qui tra­dui­sent la même faillite. Un État qui ne pro­tège plus ses enfants, un sys­tème social fra­gi­lisé, une société qui tolère l’into­lé­ra­ble. Faillite de la pré­ven­tion, faillite du loge­ment, faillite de l’atten­tion portée aux plus fra­gi­les. La République s’était donnée pour mis­sion de pro­té­ger ses enfants. Laisser un bébé mourir d’une patho­lo­gie évitable faute de suivi, ou le condam­ner à gran­dir à la rue, relève de la même faillite. C’est une ques­tion de volonté poli­ti­que. Et c’est une urgence morale.

La France n’est pas un pays pauvre. Elle a les moyens de sauver ses bébés et d’héber­ger ses enfants. Si elle ne le fait pas, ce n’est pas une ques­tion de res­sour­ces mais de prio­ri­tés.

Chaque nour­ris­son perdu faute de soins, chaque enfant contraint de dormir sur un trot­toir ou dans une cham­bre d’hôtel insa­lu­bre est une condam­na­tion de notre société. On ne pourra pas éternellement se réfu­gier der­rière les sta­tis­ti­ques. Car der­rière les chif­fres, il y a des visa­ges. Et der­rière les visa­ges, une ques­tion simple, bru­tale, que les futu­res géné­ra­tions pose­ront à la nôtre : com­ment avez-vous pu accep­ter cela ?

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Voir également : https://www.unicef.fr/arti­cle/de-la-rue-a-lecole-2-043-enfants-sans-solu­tion-dhe­ber­ge­ment-la-veille-de-la-ren­tree-sco­laire/

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