Synthèse du rapport HÉNART sur les masters et les métiers en santé de niveau intermédiaire
6 février 2011
Synthèse du rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire (Professionnels d’aujourd’hui et nouveaux métiers : des pistes pour avancer) présenté en janvier 2011 par
Laurent HENART Député de Meurthe et Moselle
Yvon BERLAND Professeur de médecine, Président de l’Université Aix-Marseille II
Danielle CADET Coordonnatrice générale des soins à l’AP-HP
Le monde de la santé fait face à des changements majeurs. Après avoir participé de façon remarquable au cours des trente dernières années à l’amélioration de la santé publique et accompagné les évolutions sociales et économiques de la population, on perçoit que son organisation actuelle pourrait se révéler moins performante face aux défis du futur, qui sont d’un
ordre différent.
L’émergence des pathologies liées au vieillissement, avec en corollaire celles inhérentes à la dépendance, le développement des maladies chroniques et les enjeux de santé publique actuels, le cancer et la santé mentale entre autres, réclament que se développent de nouvelles prises en
charge plus graduées et mieux coordonnées entre la ville et l’hôpital.
Les professionnels de santé sont inégalement répartis en termes géographiques et certains ont une démographie qui s’annonce inquiétante. Pourtant les besoins ne vont et n’iront pas en diminuant et la régulation devient un souci prégnant pour les pouvoirs publics.
Les membres de la mission ont choisi d’auditionner un très grand nombre de professionnels de toutes catégories, des employeurs, des représentants syndicaux et des associations de patients.
En outre des tables rondes ont été organisées sur les thèmes : personnes âgées, maladies chroniques, cancer, maladies mentales, chirurgie et imagerie.
Le rapport de la mission met en lumière les professions et les professionnels, leur environnement et propose des actions de mise en oeuvre de nouveaux métiers qui prennent pleinement en compte les métiers existants.
Pour l’ensemble des membres de la mission, le plus important n’était pas de dresser un inventaire de nouveaux métiers possibles, mais de dessiner un cadre conceptuel et une méthode à même d’assurer à ces nouveaux intervenants une émergence durable et une valeur ajoutée certaine, une intégration efficace et harmonieuse au système de soins, et un accueil éclairé dans la population.
1. La santé en France : des professions et des professionnels soumis à un système rigide et cloisonné.
Soumises à une réglementation rigoureuse issue de l’art. L. 4161-1 du Code de la santé publique et du respect de l’intégrité du corps humain, auxquels seuls les médecins ont longtemps eu le droit de déroger, les professions de santé ne se sont pas développées en suivant un principe fluide d’offre et de demande. Leur construction selon un régime d’autorisation aboutissant à un système peu mobile par nature et cloisonné, propose des carrières souvent linéaires aux modes de
rémunération rigides. Ceci explique à la fois une échelle de responsabilités concentrée et le foisonnement des situations particulières dérogatoires. La question se pose de l’évolution d’un tel système quand les défis de l’avenir réclament souplesse des métiers et adaptabilité des carrières.
Dans le cadre de son travail sur la réingénierie des diplômes délivrés par le ministère en charge de la santé, la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS1) définit la notion de « métier » comme suit : « Le métier est un ensemble cohérent d’activités professionnelles, regroupant des emplois pour lesquels il existe une identité ou une forte proximité de compétences, ce qui en permet l’étude et le traitement de façon globale et unique. Le métier est situé dans une famille professionnelle et une seule. Une personne, à un moment donné de sa vie
professionnelle, est positionnée sur un métier et un seul. Le métier est distinct : du poste, qui est lié à la structure ou à l’organigramme ; du statut, qui ne dit rien des compétences ; de la qualification,
même si celle-ci est requise et du diplôme ».
Le Code de la santé publique (CSP) fournit une typologie des professions de la santé, avec trois catégories :
les professions médicales : les médecins, les sages-femmes et les odontologistes ;
les professions de la pharmacie : les pharmaciens, les préparateurs en pharmacie ;
les professions d’auxiliaires médicaux : les infirmiers, les masseurskinésithérapeutes, les pédicures-podologues, les ergothérapeutes, les psychomotriciens, les orthophonistes, les orthoptistes, les manipulateurs d’électroradiologie médicale, les audioprothésistes, les opticiens-lunetiers, les prothésistes et orthésistes, les diététiciens.
D’autres professionnels exercent dans le secteur de la santé et sont cités dans les parties législatives et/ou réglementaires du code de la santé publique :
soit ils sont placés en relation avec le secteur et les professions dont ils dépendent : les techniciens en analyse biomédicale, les préparateurs en pharmacie hospitalière, les ambulanciers ;
soit ils sont notés en relation avec les professions dont leur activité dépend : les aides-soignants, auxiliaires de puériculture et aides médico-psychologiques ;
soit ils sont notifiés selon une logique de nature d’activités : les conseillers en génétique ;
soit ils sont considérés comme ayant l’usage d’un titre et donc d’une activité, mais sans être qualifiés comme des professions de santé : les ostéopathes, les psychothérapeutes.
Certaines professions disposent d’un décret d’exercice codifié comportant une liste « d’actes », c’est le cas des infirmiers, des masseurs-kinésithérapeutes, des pédicures-podologues, des ergothérapeutes, des psychomotriciens, des orthophonistes, des orthoptistes, des manipulateurs
d’électroradiologie médicale.
Trois professions d’auxiliaires médicaux sont regroupées en « ordre » professionnel : masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues et infirmiers.
Le taux de croissance des effectifs est variable d’une profession à une autre. Il est important pour les professions paramédicales. Cela étant, ces évolutions cachent une répartition peu homogène des professions sur le territoire.
Les éléments de démographie disponibles pour différentes professions de santé révèlent une inégale répartition des professionnels sur le territoire avec souvent un gradient nord-sud assez marqué. Si les inégalités interrégionales ont eu tendance à se réduire, il n’en va pas de même de la
répartition infrarégionale qui a sensiblement creusé les écarts de densité.
Les diplômes du secteur sanitaire possèdent des caractéristiques propres :
un diplôme est en relation avec un métier donné et un seul ;
les diplômes s’inscrivent dans le cadre législatif et réglementaire qui précise les règles d’autorisation d’exercice des professions concernées ;
lorsque la profession est réglementée, il est nécessaire de posséder le diplôme pour exercer le métier (diplôme d’exercice) ;
l’exercice des métiers paramédicaux s’effectue en dérogation à l’exercice illégal de la médecine, dans le cadre de décrets autorisant des actes et précisant le champ de responsabilité ;
le diplôme est considéré comme une garantie que la personne possède les connaissances et les savoir-faire nécessaires pour répondre à l’exigence de qualité des soins, garante de la sécurité du patient.
Une des finalités des accords de Bologne signés en 1999 sur l’enseignement supérieur et la formation continue, dite réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) est d’organiser l’harmonisation européenne des diplômes et de favoriser le rapprochement entre l’université, les grandes écoles et le monde professionnel. La réforme LMD permet d’harmoniser les maquettes pédagogiques selon un modèle unique et un découpage en modules avec l’acquisition de crédits, (ECTS).
Le principe de la délivrance aux titulaires d’un diplôme d’Etat relevant du domaine de la santé, d’un grade équivalent au titre universitaire, comme pour d’autres formations (architectes,…), a été retenu pour plusieurs raisons :
en France une même formation ne peut pas conduire à la délivrance de deux diplômes différents, ce qui serait par exemple le cas avec une licence d’infirmier et un diplôme d’Etat d’infirmier (diplôme d’exercice) ;
les diplômes de licence et master sont des diplômes obtenus à partir d’un contenu de formation qui est sous la seule responsabilité des universités, dans le cadre de leur autonomie pédagogique ; or les formations des professions de santé doivent conserver un cadrage national, comme l’exigent les diplômes d’exercice des professions
réglementées ;
l’accès aux formations médicales et à certaines études paramédicales est soumis à un numerus clausus ou un quota.
Les conditions de formation initiale créent d’emblée une séparation entre les différentes professions de santé. Les formations proposées aux professions de santé sont marquées par un écart important en termes de durée (9 à 11 ans après le bac pour les médecins et 3 ans le plus souvent
pour les auxiliaires médicaux) et de nature de l’enseignement dispensé (universitaire avec un cursus de recherche pour certaines professions, professionnel pour les auxiliaires médicaux et les sages-femmes sans possibilité d’évolution autre que managériale). Cette organisation singulière ne reconnaît que très partiellement le besoin en qualifications intermédiaires.
Le cadre légal d’exercice génère le cloisonnement. Dans le système de droit français, une intervention sur le corps humain, si elle entraîne un dommage, constitue, par principe, une « atteinte à l’intégrité physique des personnes » au sens du Code pénal. Elle est, à ce titre, punissable, la peine
dépendant de la gravité de l’atteinte. Cela implique en particulier que seule la loi peut autoriser un professionnel de santé à intervenir sur le corps humain.
La profession médicale, qui est au coeur du système d’organisation des professions de santé, est définie sur le principe d’une exonération au principe de protection de l’intégrité corporelle. Cette exonération constitue le « monopole médical ». Les interventions des autres professionnels de santé sont, pour leur part, conçues comme des dérogations à ce monopole. Pour les autres professions médicales (sages-femmes et odontologistes), ces dérogations sont autorisées dans le cadre d’un modèle d’intervention fondé sur les missions qui leur sont imparties. Pour les auxiliaires médicaux elles sont autorisées dans le cadre des décrets d’actes. Ce cadre juridique définit en particulier les règles de la responsabilité des professionnels de santé.
Les modes de rémunération des professionnels de santé sont relativement rigides. L’organisation de l’offre de soins en France est fondée sur deux secteurs, la ville et l’hôpital, et deux modes d’exercice, l’activité libérale et l’activité salariée, obéissant à des règles de fonctionnement et de gestion très différentes.
2. Un environnement en mouvement
L’environnement des professions et des professionnels de santé est en mutation permanente et ces derniers s’y adaptent du mieux possible avec une constance remarquable. Les changements se sont accélérés dans la dernière décennie et les professionnels de santé sont aujourd’hui tranchée. La présentation de quelques exemples étrangers démontre, s’il en était besoin, que notre pays a pris un certain retard sur la question.
Le contexte est celui d’une relative inégalité persistante d’accès aux soins pour la population, en particulier pour les soins de premier recours. La tension sur la démographie des médecins mais aussi la tendance, qui se confirme, d’une diminution « du temps médical » se conjuguent avec les fortes évolutions des besoins en santé et des demandes de nos concitoyens.
La population augmente et vieillit. A cet égard, le processus du vieillissement présente un double aspect : quantitatif - le nombre de personnes âgées s’accroît considérablement - et qualitatif – la durée de vie des personnes âgées s’allonge. L’impact croissant des pathologies chroniques - certaines d’entre elles telles que le cancer ou les pathologies cardio-neuro-vasculaires, qui n’entraient pas dans cette catégorie, se sont chronicisées en lien avec les progrès de la médecine – et le développement du secteur ambulatoire (diminution de la durée des séjours hospitaliers) façonnent différemment les besoins de santé. Le parcours de soins se complexifie, devant prendre en compte à la fois l’hyper technicité, la nécessaire globalité et le continuum de la prise en charge des personnes.
Les évolutions de la société agissent également sur l’organisation des soins et l’environnement des professions de santé. Nos concitoyens veulent être bien soignés et bien pris en charge quel que soit l’endroit où ils résident. L’augmentation des dépenses de santé pose la question de leur solvabilisation. Les différentes formes de précarité renvoient aux problématiques de refus de soins, de non-accès aux soins et interfèrent sur les modes et conditions d’exercice des professionnels de santé, sur leur inter relation et la configuration de leurs métiers.
Par ailleurs, un champ nouveau, dont la portée est peut-être encore mal cernée, se développe aux côtés de la médecine telle que nous la connaissons depuis plusieurs décennies. Les avancées techniques (techniques médicales et techniques de la communication, télé médecine, télé santé) et technologiques, par exemple dans le domaine de la génétique, impactent l’exercice médical et la relation médecin/patient. De surcroît, la médecine classique, encore largement curative, va de plus en plus intégrer, sous la pression de l’évolution des sociétés, la dimension « médecine des bien portants ». La demande sociale, consistant à se prémunir de la maladie, se renforce. Les notions d’indicateurs potentiels de maladie, de susceptibilité ou probabilité de développer une maladie, d’entretien de la santé voire du vivre mieux, vont conduire à une forte évolution culturelle de la médecine, du métier de médecin et des métiers de la santé.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), comporte de nombreuses dispositions ayant une influence sur les professions de santé. En particulier, elle pose les bases de l’éducation thérapeutique du patient (et
conduit donc à s’interroger sur les moyens humains et les organisations nécessaires pour y répondre efficacement), elle vise à faire évoluer les modalités d’exercice et de rémunération et rénove le cadre des coopérations entre les professionnels de santé.
L’article 51 de la loi HPST agit sur les missions des professionnels de santé, modifie le partage des rôles et les modalités d’exercice. Les incidences de cet article sont fortes sur les ressources humaines en santé. Dès lors que les tâches sont réparties autrement, les contours des métiers sont appelés à être confirmés ou à évoluer, des métiers nouveaux, notamment à l’interface des métiers médicaux et paramédicaux, vont apparaître à partir de compétences élargies et les formations et qualifications doivent être revisitées
Deux inflexions importantes sont récemment intervenues ou en cours dans le domaine de la formation des professionnels paramédicaux : le transfert aux régions du financement des formations initiales et l’inscription des diplômes dans le processus LMD.
L’interaction des deux réformes amène à quelques interrogations, complémentaires mais de nature différente. D’une part, en dépit de réels aspects positifs, il n’est pas certain que l’ajout d’un interlocuteur supplémentaire, de surcroît composé de 26 régions autonomes dans leurs décisions, éclaircisse le champ des formations avec l’instauration de compétences croisées entre plusieurs décideurs. Le phénomène est aggravé par l’arrivée des universités (dorénavant autonomes) et du ministère de l’enseignement supérieur, dans le paysage, du fait de l’inscription des diplômes paramédicaux dans le processus LMD. D’autre part, l’extension programmée du dispositif LMD à l’ensemble des diplômes paramédicaux ne va pas sans susciter des difficultés d’ordre technique mais aussi culturel.
La démarche LMD implique une réingénierie en profondeur des formations paramédicales selon un schéma global et cohérent en termes de calendrier, de contenu et de niveaux de qualification. Faute certainement d’une clarification de leurs rôles respectifs et d’un véritable travail en commun sur la question, les deux ministères (Santé et Enseignement Supérieur) peinent à faire connaître une ligne visible à l’ensemble des acteurs concernés. En tout état de cause, le monde de la santé doit mieux appréhender les exigences pour l’obtention d’un label universitaire et, de son côté, le monde universitaire doit mieux apprécier les spécificités qui s’attachent à la formation des professions de santé.
Par ailleurs la coopération entre professionnels de santé est une préoccupation assez récente en France, une dizaine d’années, mais répond à une volonté de progression constante de la part des pouvoirs publics et de nombre d’acteurs de la santé. Les garanties juridiques et techniques sont posées par la loi HPST et les textes d’application :
protocoles validés par la HAS (sur avis conforme)
circonscription précise dans les protocoles de l’objet et de la nature de la
coopération (disciplines ou pathologies) ainsi que du lieu et du champ
d’intervention
intervention d’un arrêté du directeur de l’ARS
vérification de la réponse à des besoins de santé et traçabilité des coopérations
information obligatoire du patient
Des organisations reposant sur les coopérations entre professionnels de santé ont vu le jour dans de nombreux pays et pour certains depuis les années 60. Elles ont pour la plupart des objectifs communs d’amélioration de l’accès aux soins dans un contexte de démographie médicale en
tension mais aussi de rationalisation du système de soins et de recherche de gains de productivité.
3. Les propositions de la mission. Les nouveaux métiers en santé : une stratégie et un plan d’action
http://www.syndicat-infirmier.com/Les-9-propositions-du-rapport.html