Dérives sectaires : en hausse dans le domaine de la santé

5 avril 2018
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a remis son rapport public annuel le 23 mars 2018. Il couvre l’année 2016 et le premier semestre 2017. Pendant cette période, la Miviludes a reçu 2 323 saisines.
Les tendances du phénomène sectaire
Les saisines reçues à la Miviludes montrent une nette augmentation des interrogations sur les thérapies alternatives. La mission s’inquiète du développement d’offres potentiellement sectaires dans le domaine de la santé, du bien-être et du développement personnel. Le rapport s’attarde notamment sur deux méthodes de soins jugées inquiétantes : le reiki et la kinésiologie.
De même, de nouvelles pratiques alimentaires strictes peuvent accompagner des pratiques spirituelles et mettre en danger les adeptes. C’est le cas, par exemple, de comportements alimentaires extrêmes comme les jeûnes prolongés ou des régimes très carencés qui entraînent un affaiblissement physique. Cette affaiblissement peut lui-même entraîner une moindre résistance psychologique et être utilisé comme technique de manipulation par des mouvements sectaires.
Dans le domaine de l’enseignement, la Miviludes observe aussi une augmentation du risque sectaire avec le développement de l’enseignement à domicile et des écoles privées hors contrat. Dans la formation des adultes, des abus peuvent être constatés dans le coaching et le secteur du développement personnel.
Quatre études thématiques
Le rapport, outre un focus sur la radicalisation, comprend quatre études thématiques :
la résistance aux vaccinations ;
les spécificités des violences exercées à l’encontre des enfants dans les groupes -sectaires ;
les maltraitances financières à l’égard des personnes âgées ;
les mécanismes cognitifs et les résonances émotionnelles dans le processus de radicalisation violente.
Voir le rapport intégral : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/184000157-mission-interministerielle-de-vigilance-et-de-lutte-contre-les-derives-sectaires
Dans le domaine de la santé, focus sur deux méthodes particulièrement inquiétantes : reiki et kinésiologie
La France a connu au cours des dix dernières années, à l’instar d’autres pays européens, une déferlante de techniques et de méthodes de soins qui sous couvert de bien-être ont envahi le champ de la santé. Comme le rappelle le ministère de la Santé sur son site Internet, « dans la très grande majorité des cas, ces pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité, ainsi que leur non dangerosité. Lorsqu’elles sont utilisées pour traiter des maladies graves ou en urgence à la place des traitements conventionnels reconnus, elles peuvent donc faire perdre des chances d’amélioration ou de guérison aux personnes malades. »
Aujourd’hui force est de constater, grâce aux témoignages reçus par la Miviludes et ses associations partenaires engagées dans la lutte contre les dérives sectaires, que deux techniques connaissent un développement sans précédent en France, alors qu’elles sont porteuses de risques et non éprouvées. Il s’agit du reiki et de la kinésiologie.
Il convient ici de rappeler que le champ des pratiques curatives représente une majeure partie de l’activité de la Miviludes et du secteur associatif (ADFI, CAFES, GEMPPI, CCMM). Les victimes sont souvent confrontées à des fragilités psychologiques dues à des difficultés en lien avec leur vie personnelle ou professionnelle. Elles se mettent en quête de bien-être ou de guérison et trouvent en face d’elles des offres pléthoriques : des milliers de thérapeutes auto-proclamés, des stages d’initiation à ces méthodes, des formations, etc.
Pour les promoteurs du reiki, il serait possible après une formation accélérée de transmettre ou de recevoir le pouvoir de canalisation d’une « énergie vitale universelle ». « Chacun peut devenir son propre guérisseur. »
Le reiki
Méthode thérapeutique promue et développée par le japonais Mikao Usui (1865-1926) à la suite d’une révélation mystique qui l’aurait conduit à la fin du xixe siècle à recevoir les « clefs de la guérison », cette technique de guérison par imposition des mains fait du praticien initié à la technique un simple médium permettant au patient de rétablir la force vitale garante de sa bonne santé.
Pour en résumer brièvement le principe : cette technique, nécessairement précédée d’une phase initiatique, entraînerait un mouvement énergétique intérieur. La détente des muscles accélèrerait la guérison et ouvrirait la conscience aux causes de la maladie ou de la douleur. Elle accroîtrait également les capacités d’auto-guérison physique et psychoaffective, en cas de blocages, dépression, anxiété, échecs.
La kinésiologie
Fondée dans les années 1960 par un chiropracteur américain, la kinésiologie est une méthode de thérapie holistique inspirée par la médecine chinoise. Cette technique psycho corporelle recourt à un test musculaire de communication au plan physique et émotionnel. Proposée à tous les âges de la vie et à tous les publics elle permettrait d’optimiser le capital de « ressources personnelles » avec l’accompagnement d’un thérapeute, et de parvenir à l’auto-guérison des difficultés existentielles et des maladies.
Mouvance née dans le sillage du New Age, ses adeptes et sympathisants prônent de manière plus ou moins radicale la rupture avec des habitudes de vie jugées néfastes, au profit de choix naturels et authentiques comme l’alimentation biologique, les médecines douces, les thérapies non médicamenteuses ou encore l’écologie. Il existe de nombreuses déclinaisons de cette méthode. La radicalisation de certains adeptes de cette mouvance a conduit à des dérives de caractère sectaire dans laquelle la dimension hygiéniste portée au rang de dogme a constitué un facteur déterminant.
Une affaire jugée en juin 2005 par la Cour d’assises de Quimper, illustre ce constat. Des parents, au nom de conceptions idéologiques inhérentes à la pratique de la kinésiologie avaient adopté pour eux-mêmes et leurs enfants le régime végétalien dans leur quête d’une alimentation purifiée. Cette alimentation carencée en protéines animales et en vitamines et leur extrême défiance à l’égard d’un monde médical jugé a priori dangereux allaient causer la mort de leur bébé allaité depuis sa naissance, en état de malnutrition majeure, ancienne et chronique, de l’avis de l’expert médical auprès du tribunal.
La kinésiologie a fait l’objet d’un avis sévère du Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Il en ressort que « la kinésiologie est une méthode de soin non conventionnelle et que son utilisation constitue une dérive thérapeutique. »
De son côté l’INSERM qui a évalué cette méthode conclut que « ni la kinésiologie appliquée professionnelle, ni la kinésiologie énergétique n’ont fait à ce jour la preuve de leur efficacité ».
L’absence de reconnaissance par l’État des formations et des diplômes délivrés aussi bien pour le reiki que pour la kinésiologie peut induire un amateurisme de la part de certains pseudo-thérapeutes. D’autant que n’importe qui peut se déclarer « kinésiologue » ou « maître reiki » et enseigner ces techniques.