Duplomb : une loi toxique pour la démocratie, l’environnement et la santé

20 juillet 2025

Une fois encore, la santé publi­que est relé­guée au second plan. La loi Duplomb, votée le 8 juillet 2025 par 316 dépu­tés malgré une mobi­li­sa­tion citoyenne iné­dite, marque un tour­nant aussi brutal qu’inac­cep­ta­ble dans le mépris des enjeux sani­tai­res et envi­ron­ne­men­taux. Pesticides, eau, santé : la loi Duplomb sacri­fie la popu­la­tion. Les infir­miè­res ne peu­vent se taire.

Sous cou­vert de répon­dre aux dif­fi­cultés du monde agri­cole, la majo­rité par­le­men­taire vient de faire un cadeau empoi­sonné aux lobbys de l’agro­bu­si­ness. La réin­tro­duc­tion de l’acé­ta­mi­pride, pes­ti­cide inter­dit depuis près de dix ans en raison de ses effets délé­tè­res sur les pol­li­ni­sa­teurs et sus­pecté d’attein­tes neu­ro­lo­gi­ques chez l’humain, en est le sym­bole le plus grave. Comment jus­ti­fier un tel retour en arrière, alors même que les don­nées scien­ti­fi­ques s’accu­mu­lent sur les liens entre pol­lu­tion chi­mi­que, per­tur­ba­teurs endo­cri­niens et explo­sion des mala­dies chro­ni­ques ?

Une revue de la lit­té­ra­ture de 2014 menée par l’EFSA (European Food Safety Authority) a d’ailleurs évoqué un “niveau de préoc­cu­pa­tion élevé” concer­nant les effets neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­taux poten­tiels de deux néo­ni­co­ti­noï­des : l’acé­ta­mi­pride et l’imi­da­clo­pride. En se fon­dant sur ces éléments, la Commission euro­péenne avait pré­co­nisé une réé­va­lua­tion des seuils d’expo­si­tion pour les femmes encein­tes et les jeunes enfants. Le danger n’est donc pas une simple hypo­thèse : il figure noir sur blanc dans les conclu­sions d’une auto­rité sani­taire euro­péenne.
https://www.efsa.europa.eu/en/efsa­jour­nal/pub/3471

Cette loi ne se contente pas de rou­vrir la porte à des molé­cu­les inter­di­tes. Elle faci­lite aussi la créa­tion de méga-bas­si­nes, au mépris des équilibres hydri­ques, et encou­rage l’exten­sion des élevages indus­triels, contri­bu­teurs majeurs à la pol­lu­tion de l’eau, aux émissions de gaz à effet de serre et à la dégra­da­tion du bien-être animal.

L’adop­tion de ce texte est aussi un scan­dale démo­cra­ti­que. Une motion de rejet préa­la­ble avait été dépo­sée à l’Assemblée natio­nale. Le débat a été bâclé, la concer­ta­tion igno­rée, et la loi adop­tée à marche forcée via une com­mis­sion mixte pari­taire. Un pas­sage en force, dénoncé par plu­sieurs dépu­tés qui ont saisi le Conseil cons­ti­tu­tion­nel pour vice de pro­cé­dure.

Face à ce déni de démo­cra­tie, une étudiante de 23 ans, Eléonore Pattery, future pro­fes­sion­nelle de santé envi­ron­ne­men­tale, a lancé une péti­tion citoyenne. En dix jours, elle a réuni près d’un mil­lion de signa­tu­res. Un sur­saut salu­taire, qui rap­pelle que la santé envi­ron­ne­men­tale n’est pas une option, mais un impé­ra­tif. Les citoyen­nes et citoyens ont com­pris ce que le légis­la­teur refuse de voir : cette loi est une aber­ra­tion scien­ti­fi­que, éthique et sani­taire.
https://peti­tions.assem­blee-natio­nale.fr/ini­tia­ti­ves/i-3014

Au SNPI, nous ne pou­vons rester spec­ta­teurs. Les infir­miè­res cons­ta­tent chaque jour dans leurs pra­ti­ques les effets cumu­la­tifs de l’envi­ron­ne­ment dégradé sur les corps fra­gi­les  : can­cers en hausse, trou­bles neu­ro­lo­gi­ques, mala­dies auto-immu­nes, puber­tés pré­co­ces, fer­ti­lité alté­rée… Ces patho­lo­gies ne tom­bent pas du ciel. Elles sont le pro­duit de choix poli­ti­ques qui auto­ri­sent la dif­fu­sion mas­sive de toxi­ques dans notre air, notre eau, notre ali­men­ta­tion." alerte Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Parmi les 640.000 infir­miè­res géné­ra­lis­tes en France, nom­breu­ses sont celles qui accom­pa­gnent au quo­ti­dien des patients souf­frant de patho­lo­gies chro­ni­ques liées à l’envi­ron­ne­ment. Certains se for­ment spé­ci­fi­que­ment à cette appro­che : ce sont les éco-infir­miers, pro­fes­sion­nels de santé enga­gés dans la pré­ven­tion des ris­ques envi­ron­ne­men­taux, l’éducation à la santé, et la pro­mo­tion de milieux de vie plus sains. Ils sen­si­bi­li­sent, infor­ment, accom­pa­gnent les chan­ge­ments de pra­ti­ques, aussi bien dans les foyers que dans les col­lec­ti­vi­tés ou les établissements de soins. Leur rôle devient cru­cial à l’heure où les patho­lo­gies envi­ron­ne­men­ta­les explo­sent et où la pré­ven­tion doit pren­dre toute sa place. Ignorer cette dyna­mi­que, c’est tour­ner le dos aux com­pé­ten­ces déjà pré­sen­tes dans le sys­tème de soins.

Nous aler­tons depuis des années sur l’urgence d’une poli­ti­que de santé publi­que inté­grant la pré­ven­tion envi­ron­ne­men­tale. La loi Duplomb fait exac­te­ment l’inverse : elle expose sciem­ment la popu­la­tion à des dan­gers connus, pour pro­té­ger des modè­les agri­co­les à bout de souf­fle. C’est une faute grave, aux consé­quen­ces sani­tai­res dura­bles.

Les dif­fi­cultés du monde agri­cole sont réel­les, mais elles ne jus­ti­fient pas une fuite en avant pro­duc­ti­viste. La prin­ci­pale cause de la crise actuelle, ce n’est pas l’inter­dic­tion des pes­ti­ci­des, mais le désé­qui­li­bre économique entre pro­duc­teurs, indus­triels et dis­tri­bu­teurs. Ce n’est pas la tran­si­tion écologique qui tue l’agri­culture, ce sont les marges cap­tées par les géants de l’agroa­li­men­taire.

En choi­sis­sant de satis­faire l’agro­bu­si­ness au lieu d’accom­pa­gner les agri­culteurs vers des pra­ti­ques plus dura­bles, la loi Duplomb trahit l’avenir. Elle trahit aussi les soi­gnants, les famil­les, les enfants à naître, tous ceux que nous devons pro­té­ger, pas empoi­son­ner.

Les infir­miè­res ne seront pas com­pli­ces. Nous refu­sons que l’exper­tise scien­ti­fi­que soit balayée d’un revers de main. Nous refu­sons que les signaux d’alerte sur la santé humaine soient igno­rés. Nous refu­sons qu’on oppose écologie et agri­culture, quand seule une trans­for­ma­tion du modèle peut réconci­lier les deux.

En tant que pro­fes­sion­nels de santé, nous affir­mons qu’il n’y aura pas de santé sans envi­ron­ne­ment sain. À l’heure où l’on nous demande de ren­for­cer la pré­ven­tion, de lutter contre les mala­dies chro­ni­ques, de pro­té­ger les popu­la­tions vul­né­ra­bles, com­ment accep­ter que la loi orga­nise l’empoi­son­ne­ment légal de notre écosystème ?

Nous saluons le cou­rage d’Eléonore Pattery et de tous ceux qui, dès le 10 juillet, ont lancé l’alerte. Nous saluons les api­culteurs, les syn­di­cats pay­sans res­pon­sa­bles, les asso­cia­tions envi­ron­ne­men­ta­les et les soi­gnants enga­gés qui refu­sent le fata­lisme.

Le succès de cette péti­tion démon­tre une chose : la société fran­çaise n’est pas rési­gnée. Elle com­prend qu’il en va de notre santé col­lec­tive, de notre sou­ve­rai­neté ali­men­taire, de la survie de nos écosystèmes. Les poli­ti­ques feraient bien d’ouvrir les yeux, au lieu de céder à une vision court-ter­miste et des­truc­trice.

Nous espé­rons que les recours dépo­sés devant le Conseil cons­ti­tu­tion­nel abou­ti­rons à la cen­sure de cette loi contraire à l’inté­rêt géné­ral. Face à la mobi­li­sa­tion citoyenne, Emmanuel Macron peut également choi­sir de ne pas pro­mul­guer la loi. Si le droit ne pro­tège plus la santé des popu­la­tions, alors il devient com­plice des inté­rêts privés.

Nous appe­lons également à l’orga­ni­sa­tion d’états géné­raux de la santé envi­ron­ne­men­tale, réu­nis­sant pro­fes­sion­nels de santé, citoyens, scien­ti­fi­ques et agri­culteurs, pour poser les bases d’un modèle plus juste, plus sain, plus rési­lient.

Parce que notre mis­sion est de soi­gner, mais aussi de pré­ve­nir. Et pré­ve­nir, c’est aussi dire non. Non à l’empoi­son­ne­ment légal. Non au sacri­fice des géné­ra­tions futu­res. Non au déman­tè­le­ment de la santé publi­que au profit de quel­ques inté­rêts privés.

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