HAS : La sécurité des patients s’est-elle améliorée ?

22 septembre 2013

Article paru dans le bulletin de la Haute Autorité de Santé (HAS) Sécurité du Patient & Pratiques – N° 30 – Sept.-oct. 2013

La ques­tion de l’amé­lio­ra­tion de la sécu­rité revient pério­di­que­ment depuis la publi­ca­tion du rap­port fon­da­teur en décem­bre 1999 « To Err is human ».

Cinq ans plus tard, deux des contri­bu­teurs de ce rap­port, Lucian Leape et Donald Berwick, se deman­dent ce qui a été fait, quel­les sont les bar­riè­res ren­contrées, qu’est-ce qu’il reste à faire et com­ment conti­nuer pour amé­lio­rer la sécu­rité du patient 1. La même année Troyen Brennan et son équipe affi­chent un sen­ti­ment de décep­tion devant le peu de pro­grès accom­plis : il n’y a pas eu de dimi­nu­tion fran­che de la mor­ta­lité et pas de trans­for­ma­tion du sys­tème de santé en géné­ral, et des hôpi­taux en par­ti­cu­lier, pour assu­rer une sécu­rité iden­ti­que à celle retrou­vée dans l’indus­trie. Dans un contexte de réduc­tion de dépen­ses, toutes les inter­ven­tions pro­po­sées pour dimi­nuer le risque doi­vent être pesées et les résul­tats doi­vent être mesu­rés. D’autres arti­cles comme celui de Stephen Pauker 2 ou de Ellen Notte 3, font la même ana­lyse.

« Les résul­tats obte­nus en matière de sécu­rité des soins ne sont pas à la hau­teur des efforts consen­tis depuis une dizaine d’années »

Mais c’est l’arti­cle publié en 2009 4, qui lance véri­ta­ble­ment le débat. Les auteurs, un groupe de spé­cia­lis­tes inter­na­tio­na­le­ment reconnus en matière de sécu­rité des patients, dres­sent un cons­tat désa­busé et assez inha­bi­tuel. Selon eux, les résul­tats obte­nus en matière de sécu­rité des soins ne sont pas à la hau­teur des efforts consen­tis depuis une dizaine d’années.

Les pro­fes­sion­nels de santé conti­nuent à fonc­tion­ner en « silos » sans réelle concer­ta­tion les uns avec les autres et, d’une manière géné­rale, les résul­tats que l’on était en droit d’atten­dre – au moins 50 % de réduc­tion des erreurs médi­ca­les en 5 ans – n’ont pas été atteints. La ques­tion du peu de pro­grès dans le domaine de la sécu­rité est reprise par Christopher Landrigan et son équipe, dans un arti­cle 5 paru en 2010 dans le New England Journal of Medicine.

Démonstration en Caroline du Nord avec la méthode des Trigger Tool…

Pour faire leur démons­tra­tion, les auteurs uti­li­sent la méthode des Trigger Tool mise au point par l’Institute for heal­th­care impro­ve­ment (IHI) et l’appli­quent à 10 hôpi­taux de Caroline du Nord tirés au hasard. Un Trigger tool, lit­té­ra­le­ment « outil gâchette » est un événement carac­té­ris­ti­que qui, lorsqu’il appa­raît dans un dos­sier, déclen­che auto­ma­ti­que­ment un rap­port et une ana­lyse addi­tion­nelle à la recher­che d’un éventuel événement indé­si­ra­ble (EI).

Par exem­ple, toutes les fois qu’une pres­crip­tion de vita­mine K est détec­tée (= trig­ger), il y a recher­che d’un sur­do­sage en anti­vi­ta­mine K, d’une hémor­ra­gie ou d’un héma­tome (= EI).

Le choix de la Caroline du Nord n’est pas anodin ; il s’agit en effet d’une région connue pour son haut niveau d’enga­ge­ment dans la sécu­rité du patient. Dans chaque hôpi­tal, dix dos­siers de patients hos­pi­ta­li­sés au moins 24 heures sont aléa­toi­re­ment ana­ly­sés chaque tri­mes­tre, de jan­vier 2002 à décem­bre 2007 (240 dos­siers par hôpi­tal) pour iden­ti­fier les éventuels événements indé­si­ra­bles qui ont pu se pro­duire.

« Les dom­ma­ges aux patients n’ont pas dimi­nué… »

La conclu­sion de l’étude est cruelle : les dom­ma­ges aux patients n’ont pas dimi­nué de façon signi­fi­ca­tive en six ans malgré tous les efforts consen­tis et tout l’argent investi. En 2010, un pro­fes­seur de méde­cine à l’uni­ver­sité de Californie, Robert Watcher, signe un arti­cle 6 très cri­ti­que dans lequel il défi­nit 10 domai­nes clés de la sécu­rité du patient, comme par exem­ple l’accré­di­ta­tion des hôpi­taux, le sys­tème de repor­ting, la mise en place des tech­no­lo­gies d’infor­ma­tion ou la recher­che.

Pour chaque domaine, il effec­tue une com­pa­rai­son entre 2004 et 2009 et conclut que les pro­grès en matière de sécu­rité de patients res­tent très modes­tes. Beaucoup d’autres auteurs, en par­ti­cu­lier aux USA ou au Royaume-Uni enfon­cent la porte ouverte de l’insuf­fi­sance de résul­tats ; peu d’entre eux ten­tent d’en donner une expli­ca­tion. En fait, il semble que les causes de cette insuf­fi­sance soient mul­ti­fac­to­riel­les.

Des rai­sons finan­ciè­res et struc­tu­rel­les ?

Un arti­cle récent paru dans le BMJ Quality and Safety7 pro­pose 2 rai­sons essen­tiel­les.

La pre­mière est finan­cière. Les auteurs de l’arti­cle esti­ment que le budget consa­cré aux USA à la qua­lité des soins n’est pas à la hau­teur des enjeux et que les résul­tats insuf­fi­sants reflè­tent sim­ple­ment l’insuf­fi­sance des inves­tis­se­ments. Ils pren­nent comme exem­ple la cam­pa­gne lancée par le pré­si­dent Nixon en 1971 inti­tu­lée « Guerre contre le cancer ». Cette cam­pa­gne aurait couté des cen­tai­nes de mil­liards de dol­lars avec des résul­tats médio­cres, une baisse de 5 % des can­cers depuis 1950. Les bud­gets consa­crés à la sécu­rité des soins sont très en deçà des bud­gets affec­tés dans les recher­ches bio­mé­di­ca­les clas­si­ques alors que le corpus de connais­san­ces est encore très faible.

La seconde raison est struc­tu­relle. Pour que la sécu­rité des patients s’amé­liore, il est indis­pen­sa­ble d’iden­ti­fier les inter­ven­tions rédui­sant les EI, de les appli­quer en rou­tine et de mesu­rer les pro­grès grâce à des outils qui doi­vent être déve­lop­pés. Les auteurs de l’arti­cle jugent qu’aucune de ces trois condi­tions n’a été rem­plie.

Approches cli­ni­que et sys­té­mi­que pour limi­ter les événements indé­si­ra­bles (EI)

En ce qui concerne les inter­ven­tions rédui­sant les EI, les auteurs esti­ment qu’il existe deux appro­ches pour amé­lio­rer la sécu­rité des soins. La pre­mière est une appro­che « cli­ni­que », qui a fait ses preu­ves, comme la pré­ven­tion des acci­dents throm­boem­bo­li­ques, la mise en place de stra­té­gies pour réduire les infec­tions asso­ciées aux soins, ou les inter­ven­tions visant à dimi­nuer les com­pli­ca­tions pos­to­pé­ra­toi­res.

La deuxième appro­che est sys­té­mi­que. Elle pro­meut les tech­no­lo­gies de l’infor­ma­tion et vise à déve­lop­per les tech­ni­ques uti­li­sées dans les indus­tries à haut risque : for­ma­tion au tra­vail en équipe, déve­lop­pe­ment de la culture de sécu­rité, infor­ma­ti­sa­tion de la pres­crip­tion.

La pre­mière appro­che repose sur des études de recher­che cli­ni­que nom­breu­ses et rigou­reu­ses ce qui n’est pas tou­jours le cas pour la seconde. Quand il faut appli­quer ces inter­ven­tions en rou­tine, si la ques­tion est de savoir laquelle des deux appro­ches est la meilleure, la réponse est qu’il faut les asso­cier.

Pour exem­ple, les auteurs de l’arti­cle citent la « suc­cess story » de l’inter­ven­tion sur les cathé­ters vei­neux cen­traux qui com­bine de façon judi­cieuse les résul­tats d’une recher­che cli­ni­que per­ti­nente (uti­li­sa­tion d’une check-list) avec une appro­che sys­té­mi­que qui met en avant l’impor­tance du tra­vail en équipe et la théo­rie du chan­ge­ment.

Avec des soins de plus en plus com­plexes, de nou­veaux types d’erreurs appa­rais­sent

En réa­lité, les soins devien­nent de plus en plus com­plexes et de nou­veaux types d’erreurs appa­rais­sent. Il est pos­si­ble que dans 10 ans les taux d’événements indé­si­ra­bles res­tent les mêmes alors que la sécu­rité du patient aura pro­gressé.

En conclu­sion, atten­tion à ce que l’on mesure !

Pour juger d’une amé­lio­ra­tion il faut mesu­rer les résul­tats directs de l’inter­ven­tion et pas l’amé­lio­ra­tion « en géné­ral » du niveau de sécu­rité des patients. Les auteurs pren­nent encore une fois comme exem­ple le trai­te­ment du cancer. Il en existe plu­sieurs types et les stra­té­gies uti­li­sées sont spé­ci­fi­ques de chaque cancer.

Les études qui évaluent ces stra­té­gies sont ciblées sur le type de cancer étudié et pas sur le trai­te­ment du cancer « en géné­ral ». D’une manière simi­laire, si on met en place une cam­pa­gne d’hygiène des mains, par exem­ple, il faudra mesu­rer une dimi­nu­tion des infec­tions asso­ciées aux soins et non pas essayer de mesu­rer si la sécu­rité des patients, d’une façon glo­bale, s’est amé­lio­rée.

Dr Jean Brami − HAS

Article paru dans le bul­le­tin de la Haute Autorité de Santé (HAS) Sécurité du Patient & Pratiques – N° 30 – Sept.-oct. 2013
Source : http://www.has-sante.fr/por­tail/jcms/c_1637991/fr/la-secu­rite-des-patients-sest-elle-ame­lio­ree

 [1] Leape, L, Berwick, D. - Five Years After To Err Is Human : What Have We Learned ? JAMA, May 18, 293 (19) : 2384–90.
 [2] Pauker S, Zane, E., Salem, D. - Creating a safer health care system. JAMA 2005 ;294(14):2096-08.
 [3] Notte E., McKee M. - Measuring the health of nations : upda­ting an ear­lier ana­ly­sis, Health affairs, 27, 1 : 62-71.
 [4] Leape L., Berwick D., Clancy C., Conway J., Gluck P., Guest J., et al. Transforming heal­th­care : a safety impe­ra­tive. Qual Saf Health Care. 2009 Déc ;18(6):424-428.
 [5] Landrigan C., Jarry G., Bones C., Hackbarth A., Goldmann D., Sharek P., - Temporal trends in rates of patient harm resul­ting from medi­cal care, N Eng J Med, 363, 2124-34.
 [6] Watcher R., - Patient safety at ten : unmis­ta­ka­ble pro­gress, trou­bling gaps, Health affairs, 29,1, 3-9.
 [7] Shojania KG, Thomas EJ. Trends in adverse events over time : why are we not impro­ving ? BMJ Qual Saf. 2013 Apr ;22(4):273-7.

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