PLFSS 2026 : la rigueur budgétaire au chevet du soin

14 octobre 2025

Gel des retrai­tes, fran­chi­ses dou­blées, hôpi­taux sous contrainte : le projet de loi de finan­ce­ment de la Sécurité sociale pour 2026 annonce une « remise en ordre » des comp­tes publics. Mais der­rière les chif­fres, c’est une autre réa­lité qui se pro­file : celle d’un sys­tème de santé qui soigne moins, faute de moyens.

Le gou­ver­ne­ment parle d’« effort col­lec­tif ». En clair : une année blan­che pour les pen­sions et les pres­ta­tions socia­les. Les retrai­tes ne seront pas reva­lo­ri­sées en 2026, et jusqu’en 2030, elles le seront en des­sous de l’infla­tion. Officiellement, il s’agit de « garan­tir la sou­te­na­bi­lité » du modèle social. Mais dans les faits, cela revient à faire porter le poids de la rigueur sur ceux qui n’ont déjà plus de marge.

Et pour la santé, même logi­que. Le PLFSS promet une « pro­gres­sion maî­tri­sée » de l’ONDAM : +1,6 % seu­le­ment. Moins que l’infla­tion, moins que les besoins. Un hôpi­tal qui dépense mieux ? Ou un hôpi­tal qui n’aura sim­ple­ment plus le choix que de fermer, dif­fé­rer, renon­cer ?

Les patients mis à contri­bu­tion

Autre levier : les fran­chi­ses médi­ca­les et par­ti­ci­pa­tions for­fai­tai­res. Leur mon­tant double : 2 € par boîte de médi­ca­ment, 4 € par consul­ta­tion, 8 € par trans­port. Et les pla­fonds annuels pas­sent à 100 €. Résultat : 2,3 mil­liards d’euros d’économies, mais autant de reste à charge sup­plé­men­taire pour les patients.

Pour la majo­rité des assu­rés, la fac­ture grimpe. D’autant que la loi ouvre la voie à une exten­sion : dis­po­si­tifs médi­caux, soins den­tai­res, trans­ports.

Derrière ces chif­fres, il y a des visa­ges :
 celui d’une patiente âgée qui hési­tera à appe­ler son infir­mière pour chan­ger un pan­se­ment ;
 celui d’un dia­bé­ti­que qui espa­cera ses contrô­les ;
 celui d’une famille qui retar­dera un soin « non urgent ».
Chaque renon­ce­ment coû­tera demain ce qu’on aura cru économiser aujourd’hui.

Moins visi­ble, mais tout aussi lourd : le gel des seuils de CSG sur les retrai­tes et les allo­ca­tions chô­mage. Les seuils ne bou­gent pas, mais les reve­nus, eux, aug­men­tent un peu. Résultat : des mil­liers de retrai­tés bas­cu­le­ront vers un taux de CSG plus élevé. Un impôt invi­si­ble, sans débat, et pour­tant bien réel.

À l’hôpi­tal, le même scé­na­rio

Le budget des établissements pro­gresse de +2,4 %. Mais avec l’infla­tion, la hausse des salai­res, l’énergie et les médi­ca­ments, c’est au moins 4 % qu’il fau­drait pour main­te­nir le niveau de ser­vice. Le PLFSS pré­voit donc 700 mil­lions d’euros d’économies à trou­ver dans les hôpi­taux.

Concrètement, cela veut dire des postes non rem­pla­cés, des lits fermés, des reports de soins. Les soi­gnants connais­sent déjà la suite : épuisement, turn-over, perte de sens. Dans les ser­vi­ces, les ratios res­tent loin des seuils de sécu­rité. Et l’ONDAM, censé garan­tir la sou­te­na­bi­lité, devient un pla­fond d’asphyxie.

Le gou­ver­ne­ment mise sur des « gains de per­ti­nence » : réduire les actes redon­dants, rap­pro­cher les tarifs entre ville et hôpi­tal, ratio­na­li­ser les pres­crip­tions. Des mots fami­liers, déjà enten­dus. Mais der­rière la tech­ni­cité, une évidence : on ne soigne pas mieux en cou­pant dans le soin.

Les économies dites « intel­li­gen­tes » finis­sent sou­vent par rogner sur le temps, la qua­lité, la rela­tion. Or, c’est là que tout se joue : dans ces quel­ques minu­tes où l’infir­mière observe, écoute, éduque, pré­vient. Ce temps humain ne figure dans aucune colonne bud­gé­taire. Et pour­tant, c’est lui qui évite les réhos­pi­ta­li­sa­tions, les com­pli­ca­tions, les drames.

La pré­ven­tion reste le grand oublié

Le texte men­tionne un « bou­clier de pré­ven­tion ». Mais sans ligne bud­gé­taire, sans plan, sans acteur clai­re­ment dési­gné. Alors que tout prouve qu’inves­tir dans la pré­ven­tion infir­mière (éducation thé­ra­peu­ti­que, accom­pa­gne­ment des mala­dies chro­ni­ques, sevrage taba­gi­que, acti­vité phy­si­que adap­tée) rap­porte plus qu’il ne coûte.

Les infir­miè­res le savent : un suivi de ten­sion évite un AVC. Une écoute atten­tive pré­vient une hos­pi­ta­li­sa­tion. Mais rien de cela n’entre dans la logi­que comp­ta­ble d’un PLFSS cali­bré au cen­time.

Le PLFSS 2026 accé­lère un glis­se­ment silen­cieux : la col­lec­ti­vi­sa­tion des pertes et la pri­va­ti­sa­tion des restes à charge. Les com­plé­men­tai­res santé seront elles aussi mises à contri­bu­tion, via une taxe excep­tion­nelle de 2,05 % sur leurs coti­sa­tions. Elles la réper­cu­te­ront, tôt ou tard, sur les assu­rés. Résultat : ceux qui peu­vent paie­ront un peu plus, ceux qui ne peu­vent pas renon­ce­ront davan­tage.

"C’est la défi­ni­tion même d’un sys­tème à deux vites­ses : une méde­cine pour ceux qui ont les moyens, et une autre, plus lente, plus loin­taine, pour les autres. Les iné­ga­li­tés de santé vont se creu­ser. Les ter­ri­toi­res déjà fra­gi­les (zones rura­les, quar­tiers prio­ri­tai­res, outre-mer) seront les pre­miers tou­chés. Là où les soins infir­miers à domi­cile repré­sen­tent sou­vent le der­nier filet de sécu­rité, les patients ris­quent de décro­cher. Les fran­chi­ses devien­nent un mur invi­si­ble entre le soin et le patient." alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers SNPI.

Pour une autre tra­jec­toire

Face à cette logi­que d’aus­té­rité, des alter­na­ti­ves exis­tent.
Cibler les vraies économies : lutter contre les sur­coûts liés aux réhos­pi­ta­li­sa­tions évitables, aux médi­ca­ments inu­ti­les, aux séjours pro­lon­gés faute de coor­di­na­tion.
Soutenir la coor­di­na­tion infir­mière : chaque hos­pi­ta­li­sa­tion évitée, chaque pré­ven­tion de décom­pen­sa­tion chro­ni­que, chaque accom­pa­gne­ment éducatif bien mené réduit les dépen­ses à long terme.
Revaloriser le rôle des infir­miè­res dans le pilo­tage des par­cours de santé, au lieu de rogner sur les moyens qui leur per­met­tent d’agir.

Le redres­se­ment des comp­tes sociaux ne doit pas se faire contre la santé publi­que. La régu­la­tion ne doit pas repo­ser sur la culpa­bi­li­sa­tion des patients ou l’épuisement des soi­gnants, mais sur la per­ti­nence cli­ni­que et éthique des par­cours.

Car chaque hos­pi­ta­li­sa­tion évitée grâce à une infir­mière de proxi­mité est une économie dura­ble. Chaque accom­pa­gne­ment éducatif réussi est un soin non refait. Et chaque acte de pré­ven­tion est une vic­toire silen­cieuse sur la dette.

Le PLFSS 2026 n’est pas un simple budget : c’est un choix de société. Choisir de geler les retrai­tes, d’aug­men­ter les fran­chi­ses et de contrain­dre les hôpi­taux, c’est consi­dé­rer la santé comme une dépense à réduire, non comme un inves­tis­se­ment col­lec­tif. Mais per­sonne ne chif­fre ce que coûte le renon­ce­ment aux soins, ni ce que pro­duit la perte de confiance.

La ques­tion n’est plus de savoir com­bien coûte la santé, mais com­bien coûte son absence. Les économies de court terme peu­vent deve­nir des drames humains à long terme. "À force de comp­ter les euros, on oublie de comp­ter les vies. Et ce sont les infir­miè­res, encore une fois, qui seront en pre­mière ligne pour en cons­ta­ter les consé­quen­ces. Parce que dans un sys­tème à bout de souf­fle, ce sont elles qui main­tien­nent la santé debout, pen­dant que d’autres comp­tent les économies."

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