Priorités nationales en matière de protocoles de coopération (art 51 HPST)

Priorités nationales en matière de protocoles de coopération (art 51 HPST)

25 février 2018

Le vocable novlangue "protocoles de coopération" ne désigne qu’une dérive en "glissement de taches" pour des soins low cost. « De la merde dans un bas de soie » dirait Napoléon !

La loi de finan­ce­ment de la sécu­rité sociale pour 2018 a prévu que "les minis­tres char­gés de la santé et de la sécu­rité sociale arrê­tent les prio­ri­tés natio­na­les en matière de pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion". Pour ces der­niers, les avis de la Haute Autorité de Santé et, le cas échéant, du col­lège des finan­ceurs sont rendus dans un délai de six mois à comp­ter de leur trans­mis­sion par l’agence régio­nale de santé.

L’arti­cle 51 de la loi Bachelot du 21 juillet 2009, por­tant réforme de l’hôpi­tal et rela­tive aux patients, à la santé et aux ter­ri­toi­res (loi HPST) auto­rise les « coo­pé­ra­tions entre pro­fes­sion­nels de santé », c’est-à-dire un pro­to­cole entre pro­fes­sion­nels, accepté par l’Agence Régionale de Santé ARS, pour effec­tuer la mise en place, à titre déro­ga­toire et à l’ini­tia­tive des pro­fes­sion­nels sur le ter­rain, de trans­ferts d’actes ou d’acti­vi­tés de soins qui ne figu­rent pas dans notre décret d’actes (dit décret de com­pé­ten­ces).

Un arrêté vient ainsi fixer les neuf prio­ri­tés natio­na­les :
- 1° Prévention et suivi des patho­lo­gies cardio-neu­ro­vas­cu­lai­res et du dia­bète ;
- 2° Prévention et suivi des patho­lo­gies res­pi­ra­toi­res ;
- 3° Prévention et suivi des can­cers ;
- 4° Prévention de l’hos­pi­ta­li­sa­tion et main­tien à domi­cile des patients âgés ;
- 5° Prévention et suivi des patho­lo­gies oph­tal­mo­lo­gi­ques ;
- 6° Prévention et suivi des patho­lo­gies gyné­co­lo­gi­ques et obs­té­tri­ca­les ;
- 7° Prévention et suivi des patho­lo­gies bucco-den­tai­res ;
- 8° Prévention des patho­lo­gies et suivi du déve­lop­pe­ment des enfants ;
- 9° Prévention et suivi des patho­lo­gies en santé men­tale.

Arrêté du 30 jan­vier 2018 fixant les prio­ri­tés natio­na­les en matière de pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion (NOR : SSAS1802687A) https://www.legi­france.gouv.fr/affich­Texte.do;jses­sio­nid=4A6211B301A0063C3E74­DE4AE­CA4F037.tplg­fr33s_3?cid­Texte=JORFTEXT000036569142

Le refus d’un simple trans­fert d’actes pour gagner du temps médi­cal

En décem­bre 2012, un son­dage auprès de 13.234 infir­miè­res a montré que 87 % de ces pro­fes­sion­nels infir­miers sont hos­ti­les aux moda­li­tés de ces coo­pé­ra­tions art 51. http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/87-des-infir­mie­res-hos­ti­les-aux.html

Cette mesure déro­ga­toire est mas­si­ve­ment reje­tée car :
- 1) la for­ma­tion n’est pas vali­dante (sou­vent sur le tas, par le méde­cin qui sou­haite délé­guer cette tâche), et dif­fé­rente d’un endroit à l’autre. Les com­pé­ten­ces sont donc dis­cu­ta­bles, en par­ti­cu­lier la capa­cité de réagir cor­rec­te­ment en cas de pro­blème ou de com­pli­ca­tion.
- 2) ces nou­veaux actes sont pra­ti­qués sans reconnais­sance sta­tu­taire. C’est d’ailleurs une fonc­tion « klee­nex », dans la mesure où si le méde­cin s’en va, le pro­to­cole tombe, et l’infir­mière retourne à la case départ.
- 3) La déro­ga­tion consiste à auto­ri­ser des pro­fes­sion­nels de santé à effec­tuer des acti­vi­tés ou des actes de soins qui ne sont pas auto­ri­sés par les textes régis­sant leur exer­cice pro­fes­sion­nel : si c’est utile, pour­quoi ne pas le rajou­ter au décret d’acte et à la for­ma­tion ini­tiale ?

« Ces pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion per­met­tent juste de régu­la­ri­ser des situa­tions exis­tan­tes, de léga­li­ser de petits arran­ge­ments locaux » selon Thierry Amouroux, le porte-parole du SNPI CFE-CGC. Mais ces pro­to­co­les ne com­por­tent aucune garan­tie pour les usa­gers sur les qua­li­fi­ca­tions et les com­pé­ten­ces des pro­fes­sion­nels impli­qués, ainsi que sur la régu­la­rité et les moda­li­tés de leur exer­cice. Le déve­lop­pe­ment sou­hai­ta­ble des par­ta­ges de com­pé­ten­ces entre pro­fes­sion­nels de santé, ne doit pas être le pré­texte à faire n’importe quoi, juste pour libé­rer du temps médi­cal. Faire passer ces déri­ves pour une avan­cée, c’est de la « nov­lan­gue », un lan­gage dont le but est l’anéan­tis­se­ment de la pensée.

Avec les "coo­pé­ra­tions", ce sont des com­pé­ten­ces per­son­nel­les qui seront attri­buées à des infir­miè­res par­ti­cu­liè­res pour faire des actes à la place des méde­cins. Il y aura des infir­miè­res auto­ri­sées à faire ... et des infir­miè­res non auto­ri­sées dans la même unité d’hos­pi­ta­li­sa­tion ! Qui s’y retrou­vera ? Le patient sera informé du pro­to­cole, mais ensuite il ne saura plus qui peut faire quoi dans une même unité de soins.

S’il faut élargir les com­pé­ten­ces infir­miè­res :
- soit c’est juste rajou­ter un acte tech­ni­que,
et il faut alors le rajou­ter au décret d’acte des 600.000 infir­miè­res, intro­duire ce nouvel appren­tis­sage offi­ciel­le­ment dans la for­ma­tion ini­tiale et le vali­der par le diplôme d’État
- soit c’est une nou­velle com­pé­tence, avec une pres­crip­tion médi­cale limi­tée, sur le modèle de la sage-femme, et il faut deux années uni­ver­si­tai­res sup­plé­men­tai­res pour vali­der ces com­pé­ten­ces, dans le cadre du métier d’infir­mière de pra­ti­que avan­cée, validé par un Master, dans un cadre sta­tu­taire clair, sur le modèle de l’IADE.

Une perte de chance pour les patients

Véritable mani­pu­la­tion des textes offi­ciels sur les actes et com­pé­ten­ces des infir­miè­res, le "pro­to­cole de coo­pé­ra­tion" entre indi­vi­dus, est une brèche grande ouverte dans un dis­po­si­tif jusque là des­tiné à garan­tir la sécu­rité des patients : for­ma­tion ini­tiale basée sur un pro­gramme offi­ciel fixé par arrêté, évaluation des com­pé­ten­ces acqui­ses par le moyen d’un examen, et attri­bu­tion d’un diplôme d’Etat habi­li­tant à un exer­cice règle­menté et pro­tégé, au nom de la santé publi­que et de la sécu­rité des patients.

Selon le rap­port de la HAS, sur 91 deman­des, seu­le­ment 25 pro­to­co­les dif­fé­rents ont été auto­ri­sés, pour 1190 pro­fes­sion­nels (430 délé­gués et 760 délé­gants). A lui seul, le pro­to­cole ASALEE (tra­vail en équipe pour la prise en charge du dia­bète) repré­sente 487 pro­fes­sion­nels méde­cins et IDE.

Certains pro­to­co­les sont des trans­ferts d’actes tech­ni­ques :
- Réalisation de ponc­tion médul­laire en crête ilia­que
- Réalisation de bilan uro­dy­na­mi­que
- Prélèvements de cor­nées sur per­son­nes décé­dées

Mais en 2013, à la demande de l’APHP, l’ARS Ile de France a auto­risé un pro­to­cole d’une toute autre nature « Consultation infir­mière de suivi des patients trai­tés par anti­can­cé­reux oraux à domi­cile, délé­ga­tion médi­cale d’acti­vité de pres­crip­tion » (voir les docu­ments en télé­char­ge­ment sur leur site http://www.ile­de­france.paps.sante.fr/Les-pro­to­co­les-auto­ri­ses-en-Il.142052.0.html ).

Dans ce pro­to­cole de l’ARS île de France, la seule ambi­tion est de gagner du temps médi­cal, avec une for­ma­tion plus que sym­bo­li­que (pages 9 et 10) :
- une « for­ma­tion théo­ri­que de 45 heures », vali­dée par une simple « attes­ta­tion de suivi de la for­ma­tion » !
- une for­ma­tion pra­ti­que de 20 heures, consis­tant à « avoir par­ti­cipé à des consul­ta­tions médi­ca­les avec deux à trois onco­lo­gues médi­caux (soit entre 20-25 mala­des vus) », avant de réa­li­ser « 10 consul­ta­tions super­vi­sées par un méde­cin avec pres­crip­tions de trai­te­ments des effets indé­si­ra­bles des anti­can­cé­reux et d’exa­mens (bio­lo­gi­ques, radio­lo­gi­ques). »

« Avec 50 ans de recul, les pays anglo-saxons esti­ment néces­sai­res deux années uni­ver­si­tai­res sup­plé­men­tai­res pour vali­der ces com­pé­ten­ces, mais pour l’ARS d’ile de France, avec 45 heures de pré­sence, une infir­miè­res est jugée léga­le­ment apte à pres­crire cinq types de médi­ca­ments ! » dénonce Thierry Amouroux, le porte-parole du SNPI CFE-CGC.

Dans ce pro­to­cole, les actes réa­li­sés par l’IDE et leur nature déro­ga­toire sont pré­ci­sés pages 3 et 4 :
- Prescription d’exa­mens bio­lo­gi­ques et radio­lo­gi­ques selon des cri­tè­res stricts en fonc­tion de pro­to­co­les vali­dés spé­ci­fi­ques à chaque molé­cule et leur inter­pré­ta­tion suivie de déci­sion.
- Réponse à des ques­tions médi­ca­les et déci­sion d’orien­ta­tion du patient.
- Prescription de cer­tains médi­ca­ments à but symp­to­ma­ti­que pour trai­ter les effets indé­si­ra­bles des trai­te­ments anti­can­cé­reux (la pres­crip­tion de médi­ca­ments ne concerne pas les anti­can­cé­reux eux mêmes) : antié­mé­ti­ques ; anxio­ly­ti­ques ; anti­bio­ti­ques de la classe des cycli­nes, anti-diar­rhéi­ques, topi­ques cuta­nés
- Décision de renou­vel­le­ment de la chi­mio­thé­ra­pie orale
selon la recom­man­da­tion du pro­to­cole spé­ci­fi­que, après appré­cia­tion cli­ni­que et inter­pré­ta­tion de comp­tes rendus d’exa­mens para­cli­ni­ques. »

Certains patients seront donc vus par un can­cé­ro­lo­gue, d’autres par une "infir­mière pro­to­co­li­sée" : n’y a t-il pas là une méde­cine à deux vites­ses ? Et une perte de chance pour cer­tains patients ? Les patients "du sec­teur privé" paie­ront pour voir le can­cé­ro­lo­gue, mais ceux qui n’ont pas les moyens ?

Ce pro­to­cole contesté a fait l’objet :
- de recours gra­cieux du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC devant l’ ARS, le minis­tère et la Haute Autorité de Santé HAS (4 mars 2013) http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Cancerologie-low-cost-45h-de.html
- d’une sai­sine du Défenseur des Droits, Dominique BAUDIS (20 mars 2013) http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Saisine-du-Defenseur-des-Droits.html
- d’une mis­sion par­le­men­taire de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, sous la copré­si­dence de Catherine GENISSON et Alain MILON (26 mars 2013) http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Cancerologie-low-cost-le.html
- d’une sai­sine du Haut Conseil de la Santé Publique par le Conseil de l’Ordre des Infirmiers d’île de France, car contraire aux règles de bonnes pra­ti­ques (22 avril 2013) http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/L-ordre-condamne-la-can­ce­ro­lo­gie.html
- d’une inter­syn­di­cale, reçue par le Cabinet de la Ministre en juin 2013 http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Intersyndicale-CFE-CGC-FO-SNICS.html
- d’une condam­na­tion du Haut Conseil des Professions Paramédicales qui a demandé son retrait http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Le-HCPP-condamne-a-son-tour-la.html

Les pra­ti­ques avan­cées doi­vent se faire en master 2

Pour Thierry Amouroux, la solu­tion réside dans une reconnais­sance offi­cielle et natio­nale de pra­ti­ques, avec une rému­né­ra­tion et une for­ma­tion consé­quen­tes. « Plutôt que cette coo­pé­ra­tion, propre à chaque hôpi­tal et à chaque ser­vice, nous sommes en faveur de pra­ti­ques avan­cées dans un cadre clair. Des pra­ti­ques auto­ri­sées après l’obten­tion d’un master 2, comme dans d’autres pays d’Europe. L’infir­mier de pra­ti­que avan­cée aura alors toute sa légi­ti­mité et pourra exer­cer sur tout le ter­ri­toire, comme le fait un IADE aujourd’hui ».

En France, le cadre légal de l’infir­­mière de pra­­ti­­que avan­­cée IPA est l’arti­­cle 119 de la loi n° 2016-41 du 26 jan­­vier 2016 de moder­­ni­­sa­­tion de notre sys­­tème de santé. Hélas, aucun texte d’appli­ca­tion n’est paru, et les tra­vaux n’ont même pas com­mencé (réfé­ren­tiel d’acti­vité, de com­pé­ten­ces, de for­ma­tion, cadre sta­tu­taire et grille sala­riale).

Environ 200 infir­miè­res de pra­ti­que avan­cée ont déjà été for­mées à l’Université d’Aix Marseille, le Master scien­ces cli­ni­ques infir­miè­res (can­cé­ro­lo­gie, géron­to­lo­gie, par­cours com­plexes de soins) et à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, le Master Sciences cli­ni­ques en soins infir­miers (santé men­tale, mala­dies chro­ni­ques, dou­leur et soins pal­lia­tifs). Il faut étendre ces Masters, en com­bi­nant la valo­ri­sa­tion de la VAE et la for­ma­tion uni­ver­si­taire pro­fes­sion­na­li­sante.

Ce nou­­veau métier ne concer­­nera que quel­­ques mil­­liers de per­­son­­nes, sur l’ordre de gran­­deur des effec­­tifs actuels d’infir­­miè­­res spé­­cia­­li­­sées (IADE, IBODE, pué­­ri­­cultri­­ces). A l’étranger seu­le­ment 5% des infir­miè­res font de tels mas­ters, mais cet échelon inter­mé­diaire entre l’infir­mière à Bac +3 et le méde­cin à Bac +9 est indis­pen­sa­ble, en par­ti­cu­lier pour la prise en soins des patients chro­ni­ques et des per­son­nes âgées.
http://www.syn­di­cat-infir­mier.com/-Observatoire-Emplois-Metiers-.html

Le cadre légal des délé­ga­tions de tâches

"Les pro­fes­sion­nels de santé peu­vent s’enga­ger, à leur ini­tia­tive, dans une démar­che de coo­pé­ra­tion ayant pour objet d’opérer entre eux des trans­ferts d’acti­vi­tés ou d’actes de soins ou de réor­ga­ni­ser leurs modes d’inter­ven­tion auprès du patient." (Article L4011-1 du Code de la santé publi­que).

Article L4011-2 pré­cise que
- "Les pro­fes­sion­nels de santé peu­vent sou­met­tre à l’agence régio­nale de santé des pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion. Ces der­niers pré­ci­sent l’objet et la nature de la coo­pé­ra­tion, notam­ment les dis­ci­pli­nes ou les patho­lo­gies, le lieu et le champ d’inter­ven­tion des pro­fes­sion­nels de santé concer­nés.
- Lorsque leur mise en œuvre impli­que un finan­ce­ment déro­ga­toire, ces pro­to­co­les sont accom­pa­gnés d’un modèle économique pré­ci­sant notam­ment les moda­li­tés de finan­ce­ment et de rému­né­ra­tion des actes et pres­ta­tions réa­li­sés. Ce modèle économique est établi avec l’appui de l’agence régio­nale de santé. Son contenu est pré­cisé par arrêté du minis­tre chargé de la santé.
- Après avoir véri­fié que les pro­to­co­les répon­dent à un besoin de santé cons­taté au niveau régio­nal, le direc­teur géné­ral de l’agence régio­nale de santé en auto­rise la mise en œuvre par arrêté pris après avis conforme de la Haute Autorité de santé et, pour les pro­to­co­les impli­quant un finan­ce­ment déro­ga­toire, après avis du col­lège des finan­ceurs prévu à l’arti­cle L. 4011-2-1. Cet arrêté pré­cise la durée du pro­to­cole.
- Les minis­tres char­gés de la santé et de la sécu­rité sociale arrê­tent les prio­ri­tés natio­na­les en matière de pro­to­co­les de coo­pé­ra­tion. Pour les pro­jets de pro­to­co­les rele­vant de ces prio­ri­tés, les avis de la Haute Autorité de santé et, le cas échéant, du col­lège des finan­ceurs sont rendus dans un délai de six mois à comp­ter de leur trans­mis­sion par l’agence régio­nale de santé.

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