Ratios infirmiers : quatre mois après le vote, l’État freine l’application d’une loi vitale

21 mai 2025

Votée à l’una­ni­mité au Sénat en 2023, puis à la quasi-una­ni­mité à l’Assemblée natio­nale en jan­vier 2025, la loi n° 2025-74 du 29 jan­vier 2025 ins­tau­rant un nombre mini­mum de soi­gnants par patient hos­pi­ta­lisé devait mar­quer un tour­nant dans l’his­toire de notre sys­tème de santé. Une avan­cée légis­la­tive majeure, atten­due de longue date, pour amé­lio­rer la sécu­rité des soins et les condi­tions de tra­vail des soi­gnants. Une réponse poli­ti­que enfin à la hau­teur d’un cons­tat cli­ni­que : on ne soigne pas mieux en cou­rant.

Mais quatre mois après sa pro­mul­ga­tion, rien n’a changé. Les infir­miè­res décri­vent des jour­nées où elles cou­rent d’un patient à l’autre, inca­pa­bles de sur­veiller cor­rec­te­ment l’état de chacun. "Les signes d’aggra­va­tion sont man­qués, et cela coûte des vies", alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI. "Cette sur­charge de tra­vail ne se limite pas aux erreurs ou aux retards de soins. Elle condamne les patients à des séjours pro­lon­gés, des com­pli­ca­tions évitables et par­fois, à la mort. Le lien entre ratios infir­miers-patients et santé des mala­des est établi depuis deux décen­nies, à tra­vers des études inter­na­tio­na­les. Les hôpi­taux dotés de ratios adé­quats enre­gis­trent moins d’infec­tions, de réhos­pi­ta­li­sa­tions et d’arrêts car­dia­ques."

Les cou­loirs sont tou­jours satu­rés, les soi­gnants tou­jours débor­dés, et les patients, tou­jours expo­sés. Pourquoi ? Parce que la loi reste lettre morte. La Haute Autorité de Santé, pour­tant dési­gnée par le texte pour élaborer les recom­man­da­tions sur les futurs ratios, n’a tou­jours pas été saisie par le minis­tère de la Santé. Aucun feu vert offi­ciel, aucun cadrage, aucun calen­drier. L’admi­nis­tra­tion cen­trale retient la clé de mise en œuvre d’une loi votée par toute la repré­sen­ta­tion natio­nale.

Un blo­cage incom­pré­hen­si­ble, à contre­temps de l’urgence

Le texte voté est sans ambi­guïté : « Le ratio est établi par décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé ». Autrement dit, rien ne peut avan­cer tant que la HAS n’est pas saisie. Ce simple acte admi­nis­tra­tif, une lettre de sai­sine de l’HAS, condi­tionne la suite. Et pour­tant, depuis le 29 jan­vier, le minis­tère garde le stylo dans le tiroir.

Ce retard n’est pas tech­ni­que. Il est poli­ti­que. Il trahit une fri­lo­sité per­sis­tante à remet­tre en cause un dogme bud­gé­taire qui conti­nue de primer sur la réa­lité des soins. Or, les ratios ne sont pas une lubie syn­di­cale ou une reven­di­ca­tion cor­po­ra­tiste : ils sau­vent des vies.

Des chif­fres qui par­lent de morts évitables

Les études sont sans appel. Une recher­che menée au Royaume-Uni sur 19 mil­lions d’hos­pi­ta­li­sa­tions démon­tre qu’en pas­sant de dix à six patients par infir­mière, les chan­ces de survie bon­dis­sent de 20 %. Selon The Lancet, chaque patient sup­plé­men­taire confié à une infir­mière aug­mente de 7 % le risque de mor­ta­lité. Et en France ? Les soi­gnants doi­vent gérer deux fois plus de patients que ce que pré­voient les stan­dards inter­na­tio­naux (6 à 8 selon les patho­lo­gies). Ce n’est plus de la ten­sion : c’est de la mise en danger.

Dans ces condi­tions, com­ment espé­rer redon­ner du sens au soin ? Comment fidé­li­ser les soi­gnants, alors que 180.000 infir­miers ont quitté la pro­fes­sion, faute de condi­tions de tra­vail com­pa­ti­bles avec l’enga­ge­ment qu’exige leur métier ?

L’inter­na­tio­nal montre la voie

La France accuse un retard fla­grant. En Californie, l’ins­tau­ra­tion de ratios a permis de réduire de 31 % les acci­dents de tra­vail et de réin­té­grer des mil­liers d’infir­miè­res dans le sys­tème. En Australie, l’État de Victoria a sta­bi­lisé ses effec­tifs grâce à une poli­ti­que volon­ta­riste. En Corée du Sud, les ratios ont dimi­nué la durée des hos­pi­ta­li­sa­tions, les réad­mis­sions, les com­pli­ca­tions post-opé­ra­toi­res, tout en ren­for­çant la qua­lité des soins.

Même résul­tat par­tout : moins de patients par soi­gnant, c’est moins d’erreurs, moins d’épuisement, plus de sécu­rité. Et pour­tant, en France, malgré le vote d’une loi, rien ne bouge.

Le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI) alerte : ce retard est injus­ti­fia­ble. Il pié­tine la volonté claire des par­le­men­tai­res. Il retarde une réforme qui pour­rait, dès demain, faire la dif­fé­rence entre une com­pli­ca­tion détec­tée à temps… et un décès évitable. Il pro­longe l’exode silen­cieux des soi­gnants qui, chaque mois, tour­nent le dos à l’hôpi­tal public faute de reconnais­sance et de pers­pec­ti­ves.

Le texte existe. La loi est votée. Il ne manque qu’une déci­sion poli­ti­que : donner à la HAS les moyens de tra­vailler. Investir dans les ratios, c’est inves­tir dans la vie.

Alors pour­quoi l’admi­nis­tra­tion choi­sit-elle encore d’atten­dre ?

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