Virginie FLAMISSET SCHLIER : Comment concilier compétences infirmières, charge en soins et sens au travail ?

1er novembre 2022

Intervention de Virginie Flamisset Schlier, la Présidente du SNPI

Comment conci­lier com­pé­ten­ces infir­miè­res, charge en soins et sens au tra­vail ?

La ques­tion n’est pas récente mais le contexte sani­taire de ces deux der­niè­res années a mis en lumière à la fois la place de l’infir­mier(ère)dans le sys­tème de santé fran­çais et inter­na­tio­nal, les com­pé­ten­ces infir­miè­res reconnues et la néces­sité de les étendre pour répon­dre aux besoins de prise en charge, la lour­deur crois­sante de la charge en soins et l’enga­ge­ment sans faille des soi­gnants démon­trant leur moti­va­tion jusqu’à l’oubli d’eux-mêmes et au final la perte de sens au tra­vail.

L’exer­cice pro­fes­sion­nel infir­mier cadré par un décret de com­pé­ten­ces, un code de déon­to­lo­gie, un ONI doit pou­voir répon­dre aux besoins des usa­gers tout en res­pec­tant les soi­gnants et en assu­rant la sécu­rité des uns et des autres.

L’infir­mier(ère) doit être capa­ble de répon­dre aux besoins de santé des per­son­nes dans le cadre d’une pluri pro­fes­sion­na­lité.

Confrontés à la souf­france, à la dou­leur, à la recher­che d’une solu­tion à leurs pro­blè­mes de santé et d’un sou­la­ge­ment, les mala­des se tour­nent de façon spon­ta­née vers l’infir­mier(ère).

La per­sonne prise en soins attend une réponse adap­tée à son état de santé. Elle repère le pro­fes­sion­na­lisme du soi­gnant dans le com­por­te­ment, les actes et les paro­les de celui-ci.

Aussi, l’infir­mier(ère) doit faire preuve :
• de connais­san­ces théo­ri­ques soli­des et actua­li­sées,
• d’apti­tu­des ges­tuel­les, de dex­té­rité,
• de gran­des capa­ci­tés rela­tion­nel­les, d’écoute, d’huma­nité,
• de res­pect envers la per­sonne soi­gnée, ses pro­ches, ses col­lè­gues, les par­te­nai­res de soins,…
• de dis­po­ni­bi­lité et de souci de l’autre,
• de dis­cré­tion, de rete­nue,
• de rigueur dans tous ses actes, de sérieux, de ponc­tua­lité,
• de réflexion, (pour penser son action)
• de maî­trise de soi dans toute situa­tion,
• d’hon­nê­teté intel­lec­tuelle (il est essen­tiel de savoir reconnaî­tre ses erreurs),
• de capa­cité à se remet­tre en ques­tion,
• de connais­sance de soi et de ses limi­tes,
• de capa­ci­tés d’adap­ta­tion et de tra­vail en équipe,
• de res­pon­sa­bi­li­tés.

L’orga­ni­sa­tion tech­nico-finan­cière qui s’est impo­sée dans le domaine de la santé et du soin en pro­mou­vant l’uni­for­mité des pro­cé­du­res, la ren­ta­bi­lité économique, la concur­rence a écrasé les valeurs de notre pro­fes­sion et généré une perte de sens au tra­vail.

Car pren­dre soin, ce n’est pas seu­le­ment réa­li­ser des actes de soins pres­crits.
La valeur d’un acte ne se réduit pas à l’argent qu’il rap­porte à tra­vers une acti­vité chif­frée, codée, ren­ta­ble.

Prendre soin c’est à la fois des actes visi­bles et de l’invi­si­ble, l’acte invi­si­ble a perdu son uti­lité et tend même à dis­pa­rai­tre de notre quo­ti­dien car dif­fi­cile à évaluer ; effec­ti­ve­ment que vaut un sou­rire, quel­ques paro­les échangées ?

La charge de tra­vail en milieu hos­pi­ta­lier a beau­coup aug­menté ces der­niè­res années. Paradoxalement, cela est lié à une avan­cée. Avec le déve­lop­pe­ment de l’ambu­la­toire, des soins à domi­cile, des hôpi­taux de jour, les patients qui sont hos­pi­ta­li­sés le sont pour des rai­sons plus graves, donc ils néces­si­tent davan­tage d’atten­tion avec une durée moyenne de séjour dimi­nuée concen­trant d’autant les soins à réa­li­ser.

Tout cela s’ins­crit dans un contexte de vieillis­se­ment de la popu­la­tion avec de plus en plus de per­son­nes âgées et sou­vent seules.

Mais les départs non rem­pla­cés faute de per­son­nel pos­tu­lant, les aban­dons d’étude des étudiants infir­miers, la pénu­rie crois­sante des infir­miè­res fait qu’il y a de moins en moins de per­son­nels infir­miers au lit des patients ainsi les infir­miè­res tra­vaillent tou­jours plus, dans de moins bonnes condi­tions.

A cela vient s’ajou­ter le concept de poly­va­lence dans l’exer­cice pro­fes­sion­nel qui se téles­cope avec la sécu­rité pro­fes­sion­nelle. Le fait de dépla­cer les soi­gnants d’un ser­vice à l’autre entraine une insé­cu­rité pro­fes­sion­nelle. Chaque jour, à chaque geste, chaque infir­mière vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nous sommes des êtres humains et l’erreur est humaine.

Nous exer­çons une pro­fes­sion à haut risque et nous por­tons la plus grande res­pon­sa­bi­lité qui soit : celle de la vie d’autrui.

Or, le manque de per­son­nel, de moyens, de repos et d’un cadre de tra­vail cor­rect peut deve­nir source d’erreur de la part de n’importe quel soi­gnant. Ce risque d’erreur s’est majoré avec la crise Covid lorsqu’il a fallu rem­pla­cer les col­lè­gues mala­des et reve­nir sur les repos, modi­fier régu­liè­re­ment les plan­nings au détri­ment de la vie et l’orga­ni­sa­tion per­son­nelle et fami­liale, appli­quer le « plan blanc », solu­tion ponc­tuelle à un pro­blème aigu mais deve­nue la norme pen­dant des mois.

Un des pro­blè­mes de la pro­fes­sion infir­mière, c’est la dis­tance entre ce que nous sommes et ce que l’on nous demande de faire au quo­ti­dien. Il faut cesser de deman­der d’enchaî­ner les actes de soins, au profit du sens qui motive ces soins : l’infir­mière a besoin de penser son action et non d’être une simple exé­cu­tante d’actes tech­ni­ques.

Une infir­mière hos­pi­ta­lière n’est pas une tech­ni­cienne spé­cia­li­sée dans une usine à soins.

L’infir­mière est là aussi pour pren­dre soin, accom­pa­gner et faire de la rela­tion d’aide, de l’éducation à la santé, de l’éducation thé­ra­peu­ti­que pour que le patient soit acteur du soin.

Or à l’heure actuelle, il y a une vraie perte de sens.

Pour qu’un tra­vail ait du sens, il doit pro­cu­rer de la satis­fac­tion à la per­sonne qui l’effec­tue, cor­res­pon­dre à ses inté­rêts et ses valeurs, faire appel à ses com­pé­ten­ces, sti­mu­ler le déve­lop­pe­ment de son poten­tiel et lui per­met­tre de se réa­li­ser.

Le sens du tra­vail se défini à tra­vers la per­cep­tion qu’a l’indi­vidu à la fois de son tra­vail et de son rap­port à celui-ci. Il repose sur son vécu de l’expé­rience du tra­vail, sur l’inter­pré­ta­tion qu’il en fait et sur ses expé­rien­ces pas­sées, la ques­tion de sens est donc très per­son­nelle et nous concerne tous.

Dans le monde de la santé, l’orga­ni­sa­tion du tra­vail, les rela­tions inter­per­son­nel­les per­ma­nen­tes et l’évolution pro­fes­sion­nelle de chacun cons­ti­tuent trois sphè­res dans les­quel­les le soi­gnant s’insère, trouve sa place et s’épanouie.

Or les muta­tions du tra­vail sont mul­ti­ples, les orga­ni­sa­tions sont en trans­for­ma­tion, l’incer­ti­tude engen­dre une perte de repè­res, beau­coup ne per­çoi­vent plus cor­rec­te­ment leur place au sein de l’ins­ti­tu­tion, de l’équipe et l’intru­sion crois­sante du tra­vail dans la vie per­son­nelle per­turbe, ques­tionne et déso­riente notre vie pro­fes­sion­nelle.

Pourtant la ques­tion du sens au tra­vail est essen­tielle et s’appuie sur trois dimen­sions :
 le faire : tra­vailler c’est d’abord pro­duire un acte mais c’est aussi appren­dre, com­pren­dre, se former pour être satis­fait, fier de la jour­née accom­plie, du tra­vail bien fait, de l’objec­tif atteint. Tout ce qui va ali­men­ter notre moti­va­tion per­son­nelle.
 l’avoir : tra­vailler, c’est sub­ve­nir à ses besoins en gagnant sa vie avec un salaire mais également avoir une exis­tence sociale, un statut, c’est per­ce­voir sa place dans l’orga­ni­sa­tion et aussi déve­lop­per des com­pé­ten­ces, avoir un accès à la for­ma­tion.
 l’être : tra­vailler pour exis­ter. C’est un signe d’appar­te­nance, le besoin d’être reconnu et de s’épanouir. C’est l’envie d’être utile

Alors com­ment redon­ner du sens au tra­vail et amé­lio­rer la Qualité de Vie au Travail ?
Tel est l’enjeu qui s’impose à nous dans les hôpi­taux.

Les atten­tes de la pro­fes­sion infir­mière sont depuis des décen­nies clai­re­ment iden­ti­fiées :
 Créer des postes mais avec une charge du tra­vail com­pa­ti­ble avec la qua­lité des soins. Les recom­man­da­tions inter­na­tio­na­les vont vers un ratio soi­gnant/soigné cor­res­pon­dant à 6 à 8 patients par infir­mière selon les patho­lo­gies. Les études sur l’Australie et la Californie démon­trent qu’une aug­men­ta­tion de la dota­tion infir­mière est ren­ta­bi­li­sée par la dimi­nu­tion de la durée de séjour, des réad­mis­sions, de la mor­bi­dité, des erreurs médi­ca­les et du rou­le­ment du per­son­nel infir­mier.
 Revaloriser les salai­res et reconnai­tre les contrain­tes et la péni­bi­lité du tra­vail de nuit et des week-ends
 Réactualiser le décret d’exer­cice infir­mier de 2004 en res­pec­tant et déve­lop­pant nos com­pé­ten­ces auto­no­mes
 Revaloriser l’enca­dre­ment infir­mier. Les direc­tions doi­vent lais­ser l’enca­dre­ment redon­ner du sens aux actions entre­pri­ses afin de s’affran­chir du carcan admi­nis­tra­tif, mobi­li­ser les com­pé­ten­ces pour résou­dre les pro­blè­mes et donner plus de liber­tés aux soi­gnants pour les res­pon­sa­bi­li­ser.

Nous avons besoin d’un enca­dre­ment qui soit force d’adap­ta­tion et d’anti­ci­pa­tion, dans une dyna­mi­que col­lec­tive basée sur les com­pé­ten­ces des pro­fes­sion­nels de santé.

Des mesu­res urgen­tes sont requi­ses pour fidé­li­ser et ren­for­cer les effec­tifs infir­miers à l’échelon de la France mais aussi mon­dial.

Pour conclure je repren­drais les recom­man­da­tions du CII (Conseil inter­na­tio­nal des Infirmières) qui nous alerte :
« La pan­dé­mie de Covid-19 a donné au monde l’occa­sion de réé­va­luer la contri­bu­tion et la valeur du per­son­nel infir­mier. Mais si la répu­ta­tion de la pro­fes­sion s’est affer­mie, dans la réa­lité la santé et la sécu­rité des infir­miè­res et des autres agents de santé res­tent en danger, les mesu­res d’atté­nua­tion étant insuf­fi­san­tes dans de nom­breux pays.
Pour com­bler cette grave lacune, le CII invite ins­tam­ment les gou­ver­ne­ments à pro­té­ger la sécu­rité et le bien –être des infir­miè­res ; à leur four­nir un sou­tien psy­cho­so­cial adé­quat à la lumière des trau­ma­tis­mes qu’elles subis­sent, et à s’enga­ger dans des stra­té­gies de long terme pour ren­for­cer la dis­po­ni­bi­lité mon­diale de per­son­nels infir­miers.
Un inves­tis­se­ment dura­ble dans la for­ma­tion, le recru­te­ment et la fidé­li­sa­tion des infir­miè­res est capi­tal pour gérer les besoins actuels durant la pan­dé­mie mais également pour répon­dre aux besoins futurs de la popu­la­tion tout comme une rému­né­ra­tion juste, un tra­vail décent et des pers­pec­ti­ves pro­fes­sion­nel­les attrayan­tes.
Renforcer les sys­tè­mes de santé en com­blant les man­ques en res­sour­ces humai­nes cons­ti­tuera un jalon impor­tant en vue de ren­for­cer la rési­lience face aux futu­res pan­dé­mies et favo­ri­ser la crois­sance économique.
Les infir­miè­res doi­vent être au cœur de toutes les mesu­res visant à rebâ­tir de meilleurs soins de santé pour tous après la pan­dé­mie. Il s’agira notam­ment de mettre l’accent sur la santé publi­que et les soins pri­mai­res, grâce à des infir­miè­res qua­li­fiées et expé­ri­men­tées, exer­çant des fonc­tions de pra­ti­que avan­cée, pour pro­té­ger les col­lec­ti­vi­tés de toute autre mala­die à venir. »

Voir également : Conférence Santé Grant Thornton - GE Healthcare 2022 - Interview de Virginie Schlier
https://www.you­tube.com/watch?v=llYcSz1­Pauk

SOURCES :
Etude Deloitte « Sens au tra­vail ou sens inter­dit ? » décem­bre 2017
CII Note d’orien­ta­tion « La pénu­rie mon­diale du per­son­nel infir­mier et la fidé­li­sa­tion des infir­miè­res »
SNPI CFE-CGC Résolution de l’AG 2021 « Hôpitaux : le point de rup­ture »
Référentiel de com­pé­ten­ces DE
Hubert Faes « le sens du tra­vail » Institut Catholique de Paris | « Transversalités »
Marie-Josée Del Volgo « le soin menacé chro­ni­que d’une catas­tro­phe annon­cée » mai 2021

Partager l'article
     

Rechercher sur le site


Dialoguer avec nous sur Facebook
Nous suivre sur Twitter
Nous suivre sur LinkedIn
Suivre notre Flux RSS

Oxyde d’éthylène : l’ombre toxique de la stérilisation plane sur les soignants

La stérilisation sauve des vies. Mais quand elle empoisonne ceux qui soignent, qui protège les (…)

Formation infirmière : la France choisit l’impasse pendant que le monde avance

Mieux formés, les infirmiers sauvent plus de vies. C’est prouvé, documenté, validé. Mais la (…)

Partout où la guerre détruit, les soins reconstruisent

La paix ne commence pas dans les traités, mais dans les gestes quotidiens. C’est l’un des (…)

Redéfinir l’infirmière, c’est refonder la santé

À quoi reconnaît-on une infirmière ? Par la blouse ? Les soins prodigués au chevet ? Trop (…)

Ratios infirmiers : une exigence mondiale, un combat syndical, une loi en attente

Tout le monde le reconnaît désormais : la qualité des soins dépend de la présence suffisante (…)

Le SNPI au Congrès mondial du CII, sous le signe du pouvoir infirmier

Du 9 au 13 juin 2025, la communauté infirmière internationale se donne rendez-vous à Helsinki, (…)