Appeler le 15 avant d’aller aux urgences : filtre ou perte de chance ?

3 septembre 2025

Un infarc­tus ne laisse que quel­ques minu­tes de répit. Mais l’appel au 15 se heurte de plus en plus sou­vent à des son­ne­ries qui s’éternisent. Et si la solu­tion pensée pour désen­gor­ger les urgen­ces créait elle-même de nou­vel­les pertes de chance ?

Depuis plu­sieurs années, les auto­ri­tés sani­tai­res van­tent la régu­la­tion télé­pho­ni­que comme anti­dote aux ser­vi­ces satu­rés. Le mes­sage est simple : avant d’aller aux urgen­ces, il fau­drait appe­ler le 15. Dans cer­tains dépar­te­ments, la règle est désor­mais contrai­gnante, sou­vent la nuit et le WE, par­fois 24 h sur 24. Dans la Manche, le Calvados ou l’Eure, l’accès est "régulé" 24h/24 par le 15 depuis le début de l’été.

Mais la réa­lité des chif­fres et des faits divers raconte une autre his­toire.

En jan­vier 2025, la Direction de la recher­che, des études, de l’évaluation et des sta­tis­ti­ques (DREES) a publié une étude sur l’évolution du recours au Samu-Centre 15 à la suite de la crise sani­taire et des mesu­res de régu­la­tion des urgen­ces. La DREES recense plus de 20 mil­lions de dos­siers de régu­la­tion. C’est 48 % de plus qu’en 2014. Les appels s’accu­mu­lent, la file d’attente s’allonge. 80 % seu­le­ment sont décro­chés en moins d’une minute, contre 85 % les années pré­cé­den­tes. Cela peut paraî­tre mar­gi­nal. Mais pour un arrêt car­dia­que, chaque seconde de silence est un pas vers la mort.

Le site offi­ciel Vie-publi­que sou­li­gne la même ten­dance : la rapi­dité de réponse du 15 se dégrade, avec de fortes dis­pa­ri­tés selon les ter­ri­toi­res. Dans cer­tai­nes régions, décro­cher en moins d’une minute relève de l’excep­tion.

Selon le rap­port annuel de la DREES, le temps moyen d’attente pour une prise en charge par le ser­vice d’aide médi­cale urgente (SAMU), suite à un appel au 15, est sou­vent supé­rieur aux recom­man­da­tions. En effet, le temps d’attente moyen dépasse régu­liè­re­ment les 3 à 4 minu­tes, alors que les normes inter­na­tio­na­les recom­man­dent un délai infé­rieur à 1 minute. Ces délais d’attente exces­sifs peu­vent avoir des consé­quen­ces dra­ma­ti­ques sur la santé des per­son­nes concer­nées, en retar­dant leur prise en charge médi­cale et en com­pro­met­tant leur pro­nos­tic vital dans cer­tains cas urgents.
https://www.senat.fr/ques­tions/base/2023/qSE­Q230707610.html

Les der­niè­res don­nées confir­ment cette ten­dance. La Cour des comp­tes pointe un sys­tème inca­pa­ble de four­nir des séries fia­bles, mais les volu­mes res­tent record : plus de 20 mil­lions de régu­la­tions chaque année.

Côté ter­rain, le délai moyen d’arri­vée des sapeurs-pom­piers dépasse désor­mais 12 minu­tes, avec de fortes dis­pa­ri­tés selon les dépar­te­ments, par­fois plus de 18 minu­tes en zone rurale. Chaque minute compte pour­tant : les études inter­na­tio­na­les rap­pel­lent qu’en cas d’arrêt car­dia­que, la survie dimi­nue de 6 à 10 % par minute sans défi­bril­la­tion. Pour un AVC isché­mi­que, c’est 1,9 mil­lion de neu­ro­nes détruits à chaque minute sans reper­fu­sion, ce qui dégrade l’auto­no­mie future. Autrement dit, le temps perdu au télé­phone ou sur la route se paie en vies ampu­tées.

Dans cer­tains dépar­te­ments, les délais d’attente au 15 en début de soirée peu­vent dépas­ser 20 minu­tes, en raison d’un afflux massif de appels. Les drames ne man­quent pas. Ces affai­res ne sont pas des sta­tis­ti­ques. Elles sont deve­nues des sym­bo­les.

En Loire-Atlantique, toutes les urgen­ces du dépar­te­ment sont fil­trées la nuit, pour trois ans. Une déci­sion prise en plein été, mais qui trans­forme une mesure de crise en norme per­ma­nente. L’ARS observe une baisse de 15% des pas­sa­ges noc­tur­nes aux urgen­ces après mise en place de l’appel obli­ga­toire. D’autres dépar­te­ments annon­cent des résul­tats simi­lai­res. Mais au niveau natio­nal, la ten­dance reste inverse. Depuis 2024, la fré­quen­ta­tion glo­bale des urgen­ces repart à la hausse, notam­ment chez les plus de 75 ans. L’idée d’un désen­gor­ge­ment dura­ble par la seule régu­la­tion télé­pho­ni­que n’est pas confir­mée.

Un autre angle fra­gi­lise le modèle : les rési­dents d’EHPAD. La nuit, les équipes sont rédui­tes, les méde­cins absents. En cas de doute, le réflexe est d’appe­ler le 15. Le régu­la­teur, faute d’alter­na­ti­ves dis­po­ni­bles, oriente sou­vent vers l’hôpi­tal. Résultat : des trans­ferts jugés inap­pro­priés par la lit­té­ra­ture scien­ti­fi­que, coû­teux et trau­ma­ti­sants pour les patients. Un tiers des pas­sa­ges aux urgen­ces de rési­dents en établissement auraient pu être évités, rap­pel­lent plu­sieurs études fran­çai­ses. Mais encore faut-il pro­po­ser autre chose qu’un lit d’hôpi­tal.

Les Samu ten­tent de répon­dre par la méthode. En sep­tem­bre 2025, la Société fran­çaise de méde­cine d’urgence, Urgences de France, le Collège de méde­cine géné­rale et plu­sieurs asso­cia­tions pro­fes­sion­nel­les ont publié une échelle de tri natio­nale. Objectif : aider les assis­tants de régu­la­tion médi­cale à hié­rar­chi­ser les appels et à orien­ter plus vite. Cet outil vise à réduire l’hété­ro­gé­néité des pra­ti­ques. Mais il ne rem­place pas des effec­tifs. La mis­sion flash de 2022 l’avait déjà mar­telé : l’objec­tif est un décro­ché en 30 secondes au pre­mier niveau, avec des postes ARM et méde­cins régu­la­teurs sup­plé­men­tai­res.

La Cour des comp­tes confirme la pres­sion. +26 % d’appels depuis 2019, près de 16 mil­lions de dos­siers de régu­la­tion médi­cale, 730 000 sor­ties de SMUR en 2022. La machine est en sur­ré­gime.

"Le para­doxe est cruel. Pour allé­ger les urgen­ces de l’hôpi­tal, on sur­charge le 15. Pour éviter la file d’attente phy­si­que, on crée une file d’attente sonore. Et au milieu, des patients pour qui chaque minute est vitale." alerte Thierry AMOUROUX, Porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Au-delà des chif­fres, une ques­tion per­siste. La régu­la­tion peut sauver du temps médi­cal quand elle est rapide, dotée, et connec­tée à des alter­na­ti­ves réel­les : méde­cins de ville, équipes mobi­les, hos­pi­ta­li­sa­tion à domi­cile. Mais que vaut un filtre qui ne mène qu’à une impasse ?

Les soi­gnants de ter­rain le disent : sans lits dis­po­ni­bles, sans astrein­tes géria­tri­ques, sans solu­tions de proxi­mité, la régu­la­tion devient un pas­sage obligé qui reporte le pro­blème au lieu de le résou­dre.

La logi­que ini­tiale était sédui­sante : un tri en amont, pour réser­ver les urgen­ces aux vraies urgen­ces. L’expé­rience montre une autre facette : des délais ral­lon­gés pour les détres­ses vita­les, des orien­ta­tions par défaut pour les plus vul­né­ra­bles, et une confiance fra­gi­li­sée par les drames média­ti­sés.

La ques­tion reste entière : en impo­sant le 15 comme porte d’entrée, l’hôpi­tal s’allège-t-il vrai­ment, ou reporte-t-il son encom­bre­ment sur une ligne déjà satu­rée ?

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 La régu­la­tion par le 15 entraîne des pertes de chan­ces aux urgen­ces
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/la-regu­la­tion-par-le-15-entraine-des-pertes-de-chan­ces-aux-urgen­ces
 https://toute-la.veille-acteurs-sante.fr/235972/appe­ler-le-15-avant-daller-aux-urgen­ces-filtre-ou-perte-de-chance-com­mu­ni­que/
 Urgences : un tiers des hôpi­taux en situa­tion dégra­dée cet été
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/actua­lite-sociale/urgen­ces-un-tiers-des-hopi­taux-en-situa­tion-degra­dee-cet-ete

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