Canicule et pénurie : quand les urgences ferment, les risques explosent à l’hôpital

13 août 2025

Les urgen­ces doi­vent rester ouver­tes 24 heures sur 24. C’est la base d’un ser­vice public de santé digne de ce nom. Oui mais… cet été, des dizai­nes d’établissements fer­ment leurs portes la nuit ou le week-end. Ce n’est pas une mesure excep­tion­nelle. C’est devenu une ges­tion ordi­naire de la pénu­rie.

Pourtant, il suf­fi­rait d’anti­ci­per, de doter les ser­vi­ces des moyens néces­sai­res, de donner aux soi­gnants les condi­tions pour tenir. Chaque été, les solu­tions sont annon­cées, les rap­ports publiés, les inten­tions affi­chées. Et chaque été, elles se heur­tent au mur du sous-finan­ce­ment et de l’inac­tion.

En Bretagne, malgré l’arri­vée des vacan­ciers, 15 des 29 établissements d’urgence fonc­tion­nent désor­mais sous régu­la­tion noc­turne  : accès uni­que­ment sur appel préa­la­ble au 15, de 18h30 à 8h, du 1ᵉʳ juillet au 1ᵉʳ octo­bre. Rennes, Saint-Malo, Fougères, Vannes ou Lannion appli­quent tous la même règle : pas d’appel, pas d’entrée.

En Loire-Atlantique, l’ARS a fran­chi une étape sup­plé­men­taire. Depuis le 13 juillet, toutes les urgen­ces du dépar­te­ment sont fil­trées la nuit, pour trois ans. Une déci­sion prise en plein été, mais qui trans­forme une mesure de crise en norme per­ma­nente.

En Nouvelle-Aquitaine, une quin­zaine de ser­vi­ces sur 62 limi­tent l’accès ou fer­ment cer­tai­nes plages horai­res. À Bordeaux-Bagatelle, portes closes tous les soirs de 20h à 8h. À Saint-Jean-de-Luz, la Polyclinique Côte basque sud a sus­pendu ses urgen­ces pen­dant cinq jours début juillet.

Même scé­na­rio ailleurs : à Lyon, l’Hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc n’accueille plus aux urgen­ces les week-ends et jours fériés depuis le 28 mai, avec une fer­me­ture conti­nue de 17 jours en août. Dans la Manche, le Calvados ou l’Eure, l’accès est régulé 24h/24 par le 15 depuis le début de l’été.

Et main­te­nant ? Une semaine de cani­cule frappe le pays. Les auto­ri­tés affir­ment que les hôpi­taux sont « prêts à répon­dre ». Sur le ter­rain, les fer­me­tu­res noc­tur­nes et les régu­la­tions télé­pho­ni­ques res­tent en place. En juillet, le CHU de Nîmes avait activé un plan Hôpital en ten­sion (HET) niveau 2 pour absor­ber l’afflux de patients lié à la cha­leur. Un geste isolé, loin d’une réponse coor­don­née à l’échelle natio­nale.

Car le niveau élevé des tem­pé­ra­tu­res entraîne une hausse mar­quée des pas­sa­ges aux urgen­ces, en par­ti­cu­lier chez les per­son­nes âgées, les patients chro­ni­ques, et les publics vul­né­ra­bles. Cette situa­tion engen­dre des ten­sions impor­tan­tes sur les capa­ci­tés d’accueil et d’hos­pi­ta­li­sa­tion en aval, en par­ti­cu­lier dans les ser­vi­ces de méde­cine.

Dans la plu­part des régions, la carte des res­tric­tions ne bouge pas. Ceux qui tom­bent mala­des ou se bles­sent la nuit devront com­po­ser avec un filtre télé­pho­ni­que, atten­dre un feu vert pour être diri­gés vers un ser­vice ouvert, ou par­cou­rir des dizai­nes de kilo­mè­tres.

Mention spé­ciale pour le Calvados, dépar­te­ment dans lequel depuis 1er juillet, l’accès à l’ensem­ble des ser­vi­ces d’urgen­ces du Calvados sera "régulé" (nov­lan­gue orwel­lienne pour ne pas dire "en accès dégradé") 24h/24 ! L’appel au 15 est obli­ga­toire avant tout dépla­ce­ment aux urgen­ces. Cette orga­ni­sa­tion inter­vient dans le contexte de la forte fré­quen­ta­tion tou­ris­ti­que du dépar­te­ment en été !

Chaque été, les mêmes causes pro­dui­sent les mêmes effets. Pénurie de per­son­nel, postes vacants, inté­rim épuisé, recours aux heures sup­plé­men­tai­res jusqu’à la rup­ture. Les direc­tions invo­quent la sécu­rité : mieux vaut fermer que d’accueillir avec des équipes épuisées ou incom­plè­tes.

Les pou­voirs publics pro­met­tent des « plans de ren­fort », des « mis­sions flash », des « task forces esti­va­les ». Les rap­ports d’experts se suc­cè­dent. Les cons­tats sont connus depuis des années. Mais sans budget sup­plé­men­taire, ces annon­ces res­tent des mots.

Pire : la situa­tion se dégrade, année après année. L’ONDAM, l’enve­loppe natio­nale pour les dépen­ses de santé, reste infé­rieur de moitié aux besoins esti­més. Le sous-finan­ce­ment est struc­tu­rel. Les fer­me­tu­res tem­po­rai­res devien­nent la norme. Ces situa­tions dégra­dées et la perte de sens font fuir les soi­gnants, qui ont au quo­ti­dien deux fois plus de patients que les normes inter­na­tio­na­les !

La fer­me­ture par­tielle des urgen­ces n’est pas neutre. Elle pèse direc­te­ment sur la sécu­rité des patients. Dans son rap­port publié le 6 février 2023, SAMU-Urgences de France recen­sait 43 décès inat­ten­dus de patients, en seu­le­ment deux mois (1ᵉʳ décem­bre 2022 – 31 jan­vier 2023). Ces chif­fres ne concer­nent que les signa­le­ments volon­tai­res de pra­ti­ciens de 22 dépar­te­ments. Parmi ces décès, 79 % des vic­ti­mes atten­daient alors une prise en charge dans un ser­vice d’urgen­ces, 21 % étaient en situa­tion pré-hos­pi­ta­lière. Ce n’est donc pas seu­le­ment l’hôpi­tal qui est en cause : c’est toute la chaîne d’accès aux soins d’urgence qui est fra­gi­li­sée.

La Drees, dans une étude natio­nale sur les urgen­ces, confirme la dégra­da­tion. En dix ans, le temps d’attente moyen a sérieu­se­ment aug­menté. La cause : l’aug­men­ta­tion des pas­sa­ges, la com­plexité des cas, et sur­tout la réduc­tion des effec­tifs dis­po­ni­bles.
https://www.vie-publi­que.fr/en-bref/297806-urgen­ces-hos­pi­ta­lie­res-un-temps-dat­tente-aug­mente-pour-les-patients

En zone rurale ou lit­to­rale, une fer­me­ture noc­turne peut signi­fier un trajet de 40 à 60 km pour rejoin­dre le ser­vice ouvert le plus proche. En période de cani­cule, une telle dis­tance peut être fatale à une per­sonne âgée en détresse res­pi­ra­toire, à un nour­ris­son déshy­draté, ou à une vic­time d’acci­dent.

Pour les équipes, ces fer­me­tu­res par­tiel­les sont un aveu d’impuis­sance. Elles savent que der­rière chaque appel refusé, chaque patient réo­rienté, il y a un risque. Les méde­cins régu­la­teurs au 15 doi­vent déci­der, en quel­ques minu­tes, si un patient peut atten­dre ou doit être envoyé immé­dia­te­ment. Les ambu­lan­ces s’allon­gent sur les routes, les hôpi­taux res­tants se satu­rent, les soi­gnants bas­cu­lent en mode crise per­ma­nente.

Les fer­me­tu­res la nuit et le week-end ne rédui­sent pas la charge glo­bale. Elles la dépla­cent. Les patients affluent mas­si­ve­ment le matin ou le lundi, aggra­vant encore la ten­sion sur les équipes et aug­men­tant le risque d’erreurs.

Ce n’est pas un pro­blème de météo. Ce n’est pas une fata­lité liée à « la démo­gra­phie médi­cale ». C’est une consé­quence directe de choix bud­gé­tai­res et orga­ni­sa­tion­nels. En main­te­nant l’ONDAM en des­sous des besoins, en n’ouvrant pas de postes péren­nes, en lais­sant les salai­res sta­gner, les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs ont orga­nisé la pénu­rie. Et chaque été, ce manque d’anti­ci­pa­tion se paie en vies humai­nes.

Et après ? Sans un chan­ge­ment radi­cal, l’été 2026 sera le même. Même carte, mêmes fer­me­tu­res, mêmes dis­cours.

La solu­tion est connue : pla­ni­fi­ca­tion des effec­tifs sur l’année, recru­te­ment massif par la mise en place de ratios de patients par infir­mière, reva­lo­ri­sa­tion sala­riale pour fidé­li­ser, bud­gets ali­gnés sur les besoins réels, déclen­che­ment coor­donné des plans blancs dès les pre­miers signaux d’alerte.

Ce qui manque, ce n’est pas le diag­nos­tic. C’est la déci­sion d’inves­tir réel­le­ment dans l’accès aux soins d’urgence. Tant que cette déci­sion n’est pas prise, chaque fer­me­ture noc­turne ou domi­ni­cale reste une lote­rie où les patients jouent leur vie.

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 Urgences : un tiers des hôpi­taux en situa­tion dégra­dée cet été
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