Infirmier référent : un rôle suspendu, une perte de chance évitable

25 juillet 2025

Infirmier référent : l’art de saboter une évidence de santé publique ! Le décret qui entérinait une avancée majeure dans la coordination des soins, vient d’être partiellement annulé. Le 22 juillet, le Conseil d’État a invalidé l’une des dispositions centrales du décret instaurant le rôle d’infirmier référent pour les patients atteints d’une affection de longue durée ALD. La raison : une simple irrégularité procédurale. Mais les conséquences, elles, sont bien réelles.

Désormais, la coordination des soins reste une terre d’incertitude, où les professionnels avancent à l’aveugle et les patients perdent en lisibilité, en sécurité, et parfois en chances de guérison. Le décret du 27 juin 2024 prévoyait qu’un patient en ALD de plus de 16 ans puisse désigner un infirmier référent pour l’accompagner dans son parcours de soins. Ce professionnel devait assurer une coordination renforcée, en lien avec le médecin traitant, le pharmacien correspondant et la sage-femme référente.

Une disposition aussitôt attaquée par l’Ordre des médecins, au motif qu’une instance consultative (le Haut Conseil des professions paramédicales HCPP) n’avait pas été saisie. Le Conseil d’État lui a donné raison. Non sur le fond du décret, mais sur le vice de procédure. Une erreur évitable, mais lourde de conséquences.

Comment une telle négligence a-t-elle pu passer ? Cette erreur de droit pose question : s’agit-il d’un simple oubli, révélateur d’une incompétence inquiétante au sein du ministère, ou d’un calcul politique, une duplicité destiné à offrir une faille juridique à ceux qui refusent toute évolution des pratiques ? Dans les deux cas, l’effet est identique : le texte est fragilisé, et la réforme suspendue. Ce n’est pas la première fois qu’un texte réglementaire infirmier est bloqué. Et la répétition de ces “accidents” finit par ressembler à un mode de régulation insidieux, où l’État donne des gages d’ouverture tout en laissant des marges de manœuvre à ceux qui veulent freiner.

Une perte de chance pour les patients

Pendant que les textes se figent, ce sont les patients qui en paient le prix. Car ce rôle de référent ne répond pas à une logique administrative, mais à une réalité vécue : celle de malades chroniques ballottés d’un professionnel à l’autre, sans lien, sans repère, sans suivi transversal.

Ne pas formaliser ce rôle, c’est continuer à livrer les patients à une organisation segmentée, où l’erreur de transmission, l’oubli d’un renouvellement, la mauvaise interprétation d’une consigne ou le défaut de relais sont autant de menaces. Dans les territoires où les médecins se raréfient, où l’isolement est fort, où les parcours sont complexes, chaque jour sans infirmier référent est une journée à risque.

La perte de chance n’est pas théorique. Elle est clinique. Elle se mesure en complications évitables, en hospitalisations indues, en ruptures de traitement, en souffrance non repérée.

Un concept trop restreint en France

En France, la reconnaissance du rôle d’infirmier référent reste limitée aux patients en ALD. C’est un début, mais un périmètre insuffisant au regard des besoins de la population. Car la coordination n’est pas réservée aux maladies chroniques. Elle est tout aussi cruciale dans le suivi des personnes âgées, des patients en situation de handicap, des jeunes en rupture de soins, ou même des familles confrontées à des difficultés d’accès.

Il faut dépasser cette approche restreinte, et faire évoluer ce rôle vers un modèle plus inclusif, plus global, celui de l’infirmière de famille, porté depuis l’an 2000 par l’Organisation mondiale de la santé OMS. Dans des systèmes de soins complexes, en tension, marqués par l’augmentation des maladies chroniques et des besoins en santé mentale, il faut organiser les soins autour de professionnels de proximité, accessibles, formés, et en lien avec les familles.

Le modèle de l’OMS, repose sur le renforcement des soins primaires, une approche centrée sur les besoins de la population et une meilleure accessibilité des services infirmiers. Il vise à faire de l’infirmière un repère de santé durable, capable d’assurer un suivi global, continu et personnalisé, au-delà des seuls actes techniques.

Une expertise relationnelle et éducative

"L’infirmière de famille, c’est celle qui écoute, suit, accompagne, explique. Celle qui sait dire ce que le patient n’ose pas formuler au médecin. Celle qui repère les fragilités, les non-dits, les effets secondaires non verbalisés. Celle qui fait le lien entre l’ordonnance, la douleur, le contexte, les aidants, l’épuisement." précise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

"Ce rôle exige de la proximité, mais aussi de l’autonomie, de la légitimité, de la reconnaissance. Il suppose une capacité à décider, à orienter, à alerter, à poser un regard clinique transversal. Ce que des dizaines de milliers d’infirmiers font déjà, chaque jour, sans toujours que cela soit reconnu, valorisé, ou même nommé."

C’est précisément cette reconnaissance que freine l’annulation partielle du décret sur l’infirmier référent. Et derrière elle, une vision hiérarchique et figée du système de soins, dans laquelle la coordination reste un monopole médical, et les autres professionnels sont tolérés mais pas pleinement associés.

Le Conseil de l’Ordre des médecins ne s’en cache pas : il a d’ores et déjà engagé un nouveau recours contre l’arrêté d’avril 2025, qui élargit le champ de prescription des infirmières en pratique avancée IPA. Une stratégie d’entrave méthodique, dans laquelle chaque texte infirmier devient une cible juridique.

Pourtant, la dynamique est là. Les textes législatifs sont adoptés. Les professionnels sont formés. Les besoins sont criants. Il ne manque plus que la volonté politique d’assumer un changement structurel, et de sécuriser le rôle infirmier dans la coordination.

Ce n’est pas une faveur, mais une réponse à un défi collectif : organiser un système plus accessible, plus fluide, plus humain, en s’appuyant sur les compétences des 640.000 infirmières généralistes. Dans ce système, l’infirmière de famille n’est pas une option : c’est une évidence. C’est une clé pour rendre les parcours plus sûrs, les soins plus proches, les patients mieux accompagnés.

Le ministère doit maintenant reprendre le décret infirmier référent, le consolider, l’élargir. Non pas pour satisfaire une profession, mais pour honorer un engagement envers les usagers. Pour qu’enfin, chacun ait un repère dans le système. Une interlocutrice de confiance. Une infirmière de famille.

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