Infirmiers : 30 % des nouveaux diplômés abandonnent dans les 5 ans
10 février 2019
"Face à la dégradation des conditions de travail, à la perte de sens à l’hôpital, à la maltraitance institutionnelle induite par le sous-effectif, 30% des jeunes diplômés abandonnent la profession infirmières dans les 5 ans qui suivent le diplôme", indique Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndical National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC.
Le recul est tel que l’on retrouve les conditions des années 60, lorsqu’une étude INED de l’époque avait montré que "plus de 30% des partantes sont restées moins d’un an dans l’hôpital" (p 482) et que la durée moyenne de carrière était de 5 ans en 1964 et 1965 (p 483)
https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1968_num_23_3_11606
L’Étude PRESST (promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail), une recherche très vaste impliquant 15 pays européens et regroupant plus de 13.000 questionnaires, explicite les motifs d’abandon.
– Madeleine Estryn-Behar (2007). Abandon prématuré de la profession infirmière, le respect des valeurs professionnelles dépend des conditions de travail : http://www.em-consulte.com/article/137312/article/abandonpremature-de-la-profession-infirmiere-le-r
– Santé satisfaction au travail et abandon du métier soignant (2004). Étude PRESST (promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail) : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/estrynbehar.pdf
Déjà à l’époque on constatait des "établissements à forte déclaration d’envie de partir ont un pourcentage d’infirmiers de moins de 30 ans supérieurs à la moyenne traduisant un turn-over important (CHG 1 : 31,3 % ; CHG 6 : 28,7 % ; AP–HP 3)"
L’étude « Next : Nurses early exit study » couvrant 10 pays européens montre à peu de choses près les mêmes insatisfactions :
– Étude Next (Nurses early exit study : promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail : http://www.saintluc.be/presse/communiques/2005/2005-next-infirmieres.pdf
Depuis 10 ans, la dégradation a empiré avec la succession de plans d’économies imposés aux hôpitaux, et la mise en place la tarification à l’activité, avec un ONDAM (objectif de dépenses d’assurance maladie) autour de 2% (alors que les besoins naturels des hôpitaux sont du double, 4%, du fait des coûts des médicaments innovants et de la radiologie IRM scanner).
Drame inconnu antérieurement, depuis juillet 2016, 12 professionnels infirmiers se sont donné la mort, soit sur leur lieu de travail, soit en laissant une lettre explicite sur la souffrance au travail qui a motivé leur passage à l’acte. Ultime mépris, souvent l’administration dédouanent la direction de l’établissement, tout en reconnaissant certaines tensions dans l’hôpital. Un nauséabond "responsable mais pas coupable".
http://www.syndicat-infirmier.com/Suicides-infirmiers-ils-n-ont.html
Stress, souffrance, vulnérabilité, épuisement, burn-out, suicides... : un quart des soignants interrogés ont déjà eu des idées suicidaires du fait de leur travail au cours de leur carrière.
https://www.infirmiers.com/actualites/actualites/suicide-et-professionnels-de-sante-poids-chiffres.html
Alors qu’ils vivent des conditions de travail déliquescentes, ils n’ont de cesse de les dénoncer et d’espérer des améliorations concrètes qui influeront positivement sur leur qualité de vie au travail en chute libre. Sur les réseaux sociaux, ils s’expriment avec les mots clés
– #BalanceTonHosto
https://www.marianne.net/societe/manque-de-moyens-absurdites-le-personnel-hospitalier-se-lache-avec-balancetonhosto
https://www.20minutes.fr/sante/2208007-20180124-balancetonhosto-quand-personnel-soignant-denonce-absurdites-manque-moyens-hopitaux
– #BalanceTonEhpad
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2018/10/05/balancetabalance-ou-l-invasion-des-hashtags-qui-denoncent_5365242_4497916.html
– #InfirmièresOubliées
http://www.syndicat-infirmier.com/Infirmieres-Oubliees-du-plan-sante-reaction-SNPI-video-France-Info-2mn.html
– #NosViesDabord.
http://www.syndicat-infirmier.com/Il-y-a-urgence-pour-nous-tous-nosviesdabord.html
– #souffranceInfirmière
L’abandon prématuré de la profession est lié à :
– la faible attractivité salariale : début de carrière à 1450 euros net, pour une profession à bac+3 (depuis 1979) avec un grade Licence (depuis 2009)
– la non reconnaissance des contraintes (prime de nuit à 1,07 brut de l’heure, WE à 45 euros brut,...)
– la charge de travail doublée en 10 ans (réduction de la durée moyenne de séjour, alternatives à l’hospitalisation, font que des malades de plus en plus lourds restent un minimum de temps)
– des contraintes horaires ou des difficultés du logement
– le manque de remplacement des collègues absentes (congés, maladie, formation) avec des rappels sur repos, le fractionnement des congés,...
Mais si les infirmières renoncent à cette profession qu’elles ont choisie, c’est, in fine, parce qu’elles ne retrouvent pas les possibilités d’exercer en accord avec leur formation.
Perte de sens
60 % des infirmières indiquent ne pas pouvoir exercer selon l’idéal qui les animait au départ. La détresse éthique apparaît quand on connaît la bonne qualité de soins à donner, mais que des contraintes institutionnelles ou organisationnelles empêchent d’agir en ce sens.
Ainsi les infirmières, ne retrouvant plus la possibilité d’exercer leur profession en accord avec leurs valeurs éthiques fondamentales, vivent un conflit entre leurs convictions personnelles et celles de l’organisation institutionnelle qui leur impose des conditions de travail telles qu’elles ne peuvent exercer selon leur conception de la qualité des soins. Ces contraintes provoquent chez elles la frustration, l’anxiété, la colère, l’impuissance, voire la culpabilité. Certaines se sentent dévalorisées et croient même avoir perdu leur intégrité.
Le modèle humaniste des soins infirmiers s’appuie sur les valeurs de respect, de dignité humaine, de reconnaissance de la liberté de choix de la personne et de confiance en son potentiel. Le modèle est centré sur la personne et ses relations interpersonnelles, son expérience de santé et les significations qu’elle lui accorde.
"Le contraste est dons saisissant lorsque vous arrivez dans un établissement qui fonctionne selon la T2A (Tarification à l’activité) avec des GHM Groupes Homogènes de Malades, GHS Groupes Homogènes de Séjour : vous souhaitez être infirmière à l’hôpital, l’administration veut une "technicienne spécialisée dans une usine à soins" !
Le processus industriel du "lean management" n’est pas adapté à une prestation de soins à une personne", précise Thierry Amouroux.
http://www.syndicat-infirmier.com/L-hopital-face-au-lean-management.html
En cas de problème :
– pensez à faire un signalement à l’Observatoire de la souffrance au travail (OSAT infirmier) sur le site https://souffrance-infirmiere.fr/
– vous pouvez également vous exprimer sur les réseaux sociaux avec #souffranceInfirmière ou https://twitter.com/SouffranceIDE
Voir l’article canadien https://www.oiiq.org/sites/default/files/uploads/periodiques/Perspective/vol10no5/10-ethique.pdf