Ratios patients par soignant : une avancée vitale face à ceux qui préfèrent l’immobilisme

27 juillet 2025

Les oppo­sants aux ratios de patients par soi­gnant déve­lop­pent des argu­ments tech­ni­ques pour mas­quer leur pos­ture de résis­tance face à une avan­cée atten­due depuis des années par les soi­gnants de ter­rain. : l’ins­tau­ra­tion de ratios de patients à l’hôpi­tal. Ne nous y trom­pons pas. Ce que cer­tains bureau­cra­tes pré­sen­tent comme une réflexion dis­tan­ciée sur les « limi­tes du ratio », est en réa­lité une ten­ta­tive de dis­cré­dit métho­di­que d’un outil qui sauve des vies. Reprenons point par point les objec­tions sou­le­vées, et mon­trons pour­quoi elles ne tien­nent pas face à la réa­lité cli­ni­que, sociale et scien­ti­fi­que.

1) Ratios : une appro­che arith­mé­ti­que, déconnec­tée des besoins réels ?

C’est l’argu­ment cen­tral. Dimensionner les effec­tifs à partir d’un nombre de lits ouverts revien­drait à igno­rer les spé­ci­fi­ci­tés des patients, des prises en charge, des tem­po­ra­li­tés du soin. Ce serait même une inver­sion du rai­son­ne­ment : « les soins sont choi­sis en fonc­tion du temps dis­po­ni­ble, et non stric­te­ment en fonc­tion des besoins des patients ».

Mais c’est pré­ci­sé­ment ce qui se passe aujourd’hui. Les soi­gnants ne choi­sis­sent pas : ils renon­cent. Quand une infir­mière de méde­cine poly­va­lente suit seule 15 à 20 patients, elle n’évalue plus, elle hié­rar­chise dans l’urgence. Les soins rela­tion­nels pas­sent à la trappe. La pré­ven­tion aussi. L’accom­pa­gne­ment se résume à quel­ques mots dans un cou­loir. Non pas parce que les besoins sont fai­bles, mais parce que les effec­tifs le sont. Ce n’est pas la norme qui engen­dre le ration­ne­ment, c’est son absence.

Les ratios ne figent pas l’orga­ni­sa­tion. Ils fixent un socle. Une ligne rouge. En deçà, le soin devient dan­ge­reux. La lit­té­ra­ture scien­ti­fi­que est claire : en deçà de cer­tains seuils, la mor­ta­lité hos­pi­ta­lière aug­mente, tout comme les événements indé­si­ra­bles évitables, les erreurs de soins, et les infec­tions noso­co­mia­les.

2) Le dimen­sion­ne­ment est une com­pé­tence locale, stra­té­gi­que, com­plexe

C’est vrai. Dimensionner un ser­vice, ce n’est pas appli­quer une recette toute faite. Il faut tenir compte des flux, des pro­fils de patients, de l’archi­tec­ture du ser­vice, du turn-over des équipes, des com­pé­ten­ces dis­po­ni­bles. Mais jus­te­ment : ces com­plexi­tés jus­ti­fient un tra­vail com­plé­men­taire, pas l’absence de mini­mum légal. C’est pour cela que le légis­la­teur a demandé une exper­tise de la HAS Haute Autorité de Santé. À force d’atten­dre que chaque établissement défi­nisse libre­ment son propre modèle, on a abouti à une cons­tante natio­nale : les soi­gnants fran­çais pren­nent en charge deux fois plus de patients que leurs col­lè­gues alle­mands ou néer­lan­dais.

Quand l’auto­no­mie locale devient syno­nyme de pénu­rie struc­tu­relle, il est légi­time que la loi inter­vienne. Les ratios ne rem­pla­ce­ront jamais une démar­che mana­gé­riale de qua­lité. Mais ils offrent un garde-fou. Ils disent : en deçà de ce seuil, ce n’est plus du soin, c’est du bri­co­lage.

3) Les ratios sont une logi­que bud­gé­taire, pas une logi­que soi­gnante

C’est sans doute l’argu­ment le plus iro­ni­que. Car si les hôpi­taux sont aujourd’hui contraints à réduire les effec­tifs, ce n’est pas à cause d’un excès de ratios, mais d’une logi­que bud­gé­taire non enca­drée. Depuis vingt ans, la tari­fi­ca­tion à l’acti­vité T2A pousse à pro­duire tou­jours plus avec tou­jours moins. Le glis­se­ment de tâches a été ins­ti­tu­tion­na­lisé. Le pré­sen­téisme est devenu un indi­ca­teur de per­for­mance. Les effec­tifs sont dimen­sion­nés non sur les besoins, mais sur les enve­lop­pes. Et c’est jus­te­ment ce que les ratios vien­nent cor­ri­ger.

"Là où la logi­que comp­ta­ble impose de « faire avec ce qu’on a », les ratios rap­pel­lent une évidence : sans pro­fes­sion­nels en nombre suf­fi­sant, pas de soins de qua­lité, pas de sécu­rité, pas de dignité. Et les don­nées inter­na­tio­na­les sont lim­pi­des : plus le nombre de patients par infir­mière aug­mente, plus la mor­ta­lité hos­pi­ta­lière croît, notam­ment dans les 30 jours sui­vant une inter­ven­tion. À l’inverse, les pays qui ont ins­tauré des ratios mini­maux (comme l’Australie, l’État de Californie ou la Corée du Sud) ont cons­taté une baisse des erreurs de soins, une réduc­tion des com­pli­ca­tions, et une amé­lio­ra­tion du moral et de la santé des soi­gnants." pré­cise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

4) La rigi­dité orga­ni­sa­tion­nelle contre la sou­plesse des réa­li­tés cli­ni­ques

On entend sou­vent que les ratios ris­quent de figer les orga­ni­sa­tions, de les rendre moins réac­ti­ves aux varia­tions d’acti­vité. Mais ce rai­son­ne­ment inverse les res­pon­sa­bi­li­tés. Ce n’est pas la loi qui impose la rigi­dité. Ce sont les contrain­tes bud­gé­tai­res qui, aujourd’hui, empê­chent toute sou­plesse. L’absence d’effec­tifs en nombre suf­fi­sant ne permet ni d’adap­ter les horai­res, ni de répon­dre aux impré­vus. Quand un agent est absent, on ferme un lit, ou on sur­sol­li­cite les pré­sents. Ce n’est pas de la flexi­bi­lité, c’est de l’impro­vi­sa­tion per­ma­nente.

En l’absence de garde-fous, le dimen­sion­ne­ment est sou­vent dicté par des contrain­tes économiques et des tableaux EPRD, non par la réa­lité cli­ni­que. Les ratios n’empê­chent pas d’ajus­ter, de pla­ni­fier, de s’adap­ter. Ils empê­chent sim­ple­ment qu’on laisse une infir­mière gérer 14 patients de méde­cine lourde de nuit, ou un aide-soi­gnant seul en EHPAD pour 45 rési­dents. Ils ne rigi­di­fient pas le soin, ils le ren­dent pos­si­ble.

5) Le ratio ne concerne qu’une partie des soi­gnants : une réforme incom­plète ?

Là encore, l’argu­ment est rece­va­ble, mais il ne milite pas pour l’aban­don de la mesure : il plaide pour son exten­sion. Oui, la loi de jan­vier 2025 ne concerne que les infir­miers et aides-soi­gnants hos­pi­ta­liers. Oui, elle laisse de côté les struc­tu­res médico-socia­les, la psy­chia­trie, les soins à domi­cile. Mais fal­lait-il pour autant ne rien faire ? Fallait-il atten­dre une réforme totale, en ris­quant de tout repor­ter ?

Les ratios sont un levier. Une amorce. Ils posent un jalon essen­tiel dans un mou­ve­ment plus large de refon­da­tion du soin. Rien n’inter­dit de les élargir à d’autres sec­teurs. Au contraire, leur mise en œuvre dans les ser­vi­ces les plus à risque per­met­tra de docu­men­ter, d’ajus­ter, et de convain­cre. Dans tous les pays, l’avan­cée s’est faite par étape.

6) La contrainte légale contre l’intel­li­gence orga­ni­sa­tion­nelle ?

Faut-il oppo­ser norme et dis­cer­ne­ment ? Pas si la norme est mini­male. Le ratio n’est pas un modèle unique à appli­quer par­tout. C’est un seuil d’alerte. Un garde-fou contre l’invi­si­bi­li­sa­tion de la souf­france au tra­vail. Un signal d’alerte avant que les erreurs ne devien­nent des drames.

Et sur­tout, les ratios ne s’oppo­sent pas à la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des cadres infir­miers, bien au contraire. Ils leur don­nent un appui. Un levier pour refu­ser des orga­ni­sa­tions inte­na­bles. Un outil pour négo­cier, pour défen­dre leur équipe, pour dire « non » en s’appuyant sur la loi.

La vraie perte d’auto­no­mie, ce n’est pas la norme. C’est de devoir fonc­tion­ner en sous-effec­tif sans pou­voir le dénon­cer. C’est d’être seul face à des injonc­tions para­doxa­les : assu­rer la qua­lité sans moyens, pré­ser­ver la sécu­rité en cou­rant par­tout, faire de la rela­tion sans avoir le temps de s’asseoir.

Une avan­cée fra­gile, qu’il faut défen­dre

La loi de jan­vier 2025 a posé un jalon his­to­ri­que. Pour la pre­mière fois, l’État reconnaît que les effec­tifs soi­gnants ne sont pas une varia­ble d’ajus­te­ment. Pour la pre­mière fois, la France rejoint les stan­dards de pays qui, depuis dix ou vingt ans, ont com­pris que la qua­lité a un coût, mais que l’absence de qua­lité en a un bien plus grand.

Évidemment, tout reste à faire : défi­nir les seuils par spé­cia­lité, inté­grer les temps de soins indi­rects, pren­dre en compte les spé­ci­fi­ci­tés des prises en charge com­plexes. Mais la direc­tion est claire : il faut arrê­ter de soi­gner à flux tendu. Il faut sortir de la logi­que du « tou­jours moins ».

La com­plexité sert à jus­ti­fier l’inac­tion. Les réti­cen­ces des direc­tions, malgré leurs appa­ren­ces tech­ni­ques, s’ins­cri­vent dans une vision mana­gé­riale qui a trop sou­vent fait passer l’effi­cience avant la per­ti­nence. Face aux soi­gnants qui tom­bent, aux patients qui atten­dent, aux erreurs que l’on aurait pu éviter, il faut rap­pe­ler une évidence : sans ratio, il n’y a pas de soin sûr.

Les ratios ne rigi­di­fient pas les soins : ils empê­chent qu’on les sacri­fie. Et si nous vou­lons encore croire à un avenir pour l’hôpi­tal public, c’est le moment de le prou­ver. Par la loi. Par les moyens. Par le res­pect.

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