Sous-effectif, sous-payé, sous pression : broyées par l’hôpital, les infirmières démissionnent en masse

Sous-effectif, sous-payé, sous pression : broyées par l'hôpital, les infirmières démissionnent en masse

19 août 2024

Les recom­man­da­tions inter­na­tio­na­les sont clai­res : selon les patho­lo­gies, une infir­mière pour six à huit patients, un ratio qui permet de garan­tir des soins de qua­lité et de pré­ser­ver la santé phy­si­que et men­tale des soi­gnants. En France, une infir­mière doit sou­vent pren­dre en charge le double de patients, voire plus. Cette sur­charge de tra­vail n’est pas seu­le­ment une sta­tis­ti­que inquié­tante ; elle se tra­duit par un quo­ti­dien épuisant, où l’épuisement pro­fes­sion­nel guette à chaque coin de cou­loir.

Le sous-effec­tif chro­ni­que à l’hôpi­tal est une réa­lité que l’on ne peut plus igno­rer. Les infir­miè­res, sur­me­nées et sub­mer­gées, doi­vent faire face à un dilemme cruel : sacri­fier la qua­lité des soins ou leur propre bien-être. Cette situa­tion engen­dre une spi­rale infer­nale où le stress et la fati­gue devien­nent la norme, au détri­ment de la rela­tion soi­gnant-soigné, essen­tielle pour un accom­pa­gne­ment de qua­lité. À ce rythme, com­ment s’étonner que tant d’infir­miè­res quit­tent la pro­fes­sion, dégoû­tées par des condi­tions de tra­vail indi­gnes ?

Prenons l’exem­ple de la Californie. L’ins­tau­ra­tion de ratios légaux de patients par infir­mière a trans­formé le pay­sage hos­pi­ta­lier. En assu­rant une charge de tra­vail rai­son­na­ble, non seu­le­ment la qua­lité des soins a été amé­lio­rée, mais le bien-être des infir­miè­res a aussi été pré­servé. Ce modèle montre qu’une autre voie est pos­si­ble, une voie où les soi­gnants ne sont plus écrasés sous le poids de la charge de tra­vail, mais peu­vent exer­cer leur métier dans des condi­tions humai­nes et res­pec­tueu­ses.

En France, les infir­miè­res sont également confron­tées à des salai­res qui ne reflè­tent ni leur exper­tise ni leur com­pé­ten­ces. Malgré les pro­mes­ses et les réfor­mes annon­cées, leur rému­né­ra­tion reste en moyenne 10 % infé­rieure à celle de leurs homo­lo­gues euro­péens. En Belgique, le salaire est supé­rieur de 30%, en Suisse le salaire brut est le double. Au Luxembourg, une infir­mière peut espé­rer gagner jusqu’à 94.000 euros par an. Ce fossé sala­rial est d’autant plus injus­ti­fia­ble que les condi­tions de tra­vail en France sont parmi les plus éprouvantes d’Europe.

Comment jus­ti­fier cet écart alors que le quo­ti­dien des infir­miè­res fran­çai­ses est marqué par une sur­charge de tra­vail, une pres­sion cons­tante, et sou­vent un manque de reconnais­sance de leur rôle cru­cial dans le sys­tème de santé ? Cette sous-valo­ri­sa­tion sala­riale est un signal fort de la manière dont notre société per­çoit et traite celles et ceux qui sont au chevet des mala­des, jour après jour, nuit après nuit.

À cette pré­ca­rité économique s’ajoute une perte de sens qui ronge peu à peu la pro­fes­sion. La pro­fes­sion d’infir­mière, autre­fois perçue comme un enga­ge­ment humain pro­fond, est de plus en plus réduite à une série de tâches à accom­plir sous une pres­sion per­ma­nente. Les soi­gnan­tes se trou­vent prises dans un engre­nage où le temps manque pour établir une rela­tion de confiance avec les patients, où chaque geste est chro­no­mé­tré, chaque inte­rac­tion limi­tée par les contrain­tes d’un plan­ning sur­chargé. Cette déshu­ma­ni­sa­tion du soin n’est pas qu’un dom­mage col­la­té­ral, c’est une tra­hi­son de l’essence même du métier infir­mier.

Reconnaitre les com­pé­ten­ces des infir­miè­res, c’est aussi leur per­met­tre de retrou­ver du sens dans leur pra­ti­que. Cela passe par une reva­lo­ri­sa­tion de leur rôle, une reconnais­sance de leur exper­tise cli­ni­que, et une plus grande auto­no­mie dans l’exer­cice de leurs fonc­tions. Ce n’est pas seu­le­ment une ques­tion de statut ou de salaire, c’est une ques­tion de res­pect pour celles et ceux qui, chaque jour, sont au front de la santé publi­que. pré­cise Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Pourtant, malgré ces cons­tats alar­mants, les réfor­mes se font atten­dre. Les dis­cours sont là, les pro­mes­ses aussi, mais les actions concrè­tes tar­dent à suivre. Recruter mas­si­ve­ment, revoir les salai­res, ins­tau­rer des ratios via­bles, et redon­ner du sens au métier d’infir­mière : voilà ce qu’il faut pour espé­rer un jour voir reve­nir une partie des 180.000 infir­miers qui ont déjà quitté la pro­fes­sion. Ces départs mas­sifs sont un cri d’alarme, un signal que le sys­tème hos­pi­ta­lier fran­çais ne peut plus conti­nuer à igno­rer. Chaque infir­mière qui quitte l’hôpi­tal est une perte pour l’ensem­ble du sys­tème de santé, une perte qui se réper­cute sur la qua­lité des soins et sur la santé de celles et ceux qui res­tent.

Mais com­ment convain­cre ces infir­miè­res de reve­nir, ou d’éviter qu’elles ne par­tent à leur tour, si rien ne change ? Comment les encou­ra­ger à conti­nuer d’exer­cer une pro­fes­sion qu’elles aiment, mais qui les broie jour après jour, sans un véri­ta­ble chan­ge­ment de cap ?

Il est temps de repen­ser en pro­fon­deur l’orga­ni­sa­tion des soins en France. De nom­breu­ses voix s’élèvent, mais les déci­sions tar­dent. 60.000 postes infir­miers sont déjà vacants. Combien de temps encore les soi­gnan­tes devront-elles atten­dre avant que leurs condi­tions de tra­vail ne soient enfin dignes de leur enga­ge­ment ? Combien d’infir­miè­res devront encore quit­ter la pro­fes­sion avant que des actions concrè­tes soient prises ?

La ques­tion reste ouverte : jusqu’où faudra-t-il aller avant que l’hôpi­tal fran­çais ne s’effon­dre sous le poids de ces injus­ti­ces ? Et vous, com­bien de temps encore accep­te­rez-vous de voir ce sys­tème se dégra­der avant de réagir ?

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