Un Ordre Infirmier pour construire l’identité infirmière

15 janvier 2006

Au delà des motivations sociales et culturelles pour créer un Ordre des Infirmières, voici une réflexion de fond sur ses fondements indispensables pour affirmer notre philosophie des soins.

L’infir­mière fran­çaise a par­fois des dif­fi­cultés à se situer, du fait de ses deux filia­tions diver­gen­tes, mais en fait com­plé­men­tai­res :
 comme col­la­bo­ra­trice du méde­cin, elle doit accom­plir des actes tech­ni­ques sur pres­crip­tion médi­cale, pour trai­ter la mala­die,
 comme éducatrice de santé, elle doit pren­dre soin de la per­sonne soi­gnée, pour per­met­tre l’expres­sion de son être.

L’infir­mière est cen­trée sur la per­sonne, alors que la pensée médi­cale se spé­cia­lise tou­jours plus sur l’organe ou la mala­die : les deux pro­fes­sions s’éloignent donc pro­gres­si­ve­ment pour des rai­sons concep­tuel­les.
L’habi­lité tech­ni­que est un préa­la­ble indis­pen­sa­ble, car on ne peut entrer en rela­tion qu’avec quelqu’un dont on a confiance, mais la pres­ta­tion infir­mière est sur­tout pré­sence et écoute authen­ti­que.

L’infir­mière est avant tout là pour rap­pe­ler au malade allongé et affai­bli, que le fait pour elle d’être debout et dans un uni­forme blanc ne lui retire pas sa citoyen­neté, qu’il est avant tout un être humain, reconnu comme une per­sonne.

L’infir­mière ne béné­fi­cie mal­heu­reu­se­ment pas encore de la for­ma­tion uni­ver­si­taire qu’elle réclame depuis les années quatre-vingts, et elle est loin d’avoir les connais­san­ces et les capa­ci­tés d’ana­lyse des phi­lo­so­phes, mais de part sa fonc­tion pre­mière (rap­pe­ler l’huma­nité de la per­sonne, en tant que pré­sence et ouver­ture au monde) et son vécu quo­ti­dien en confron­ta­tion avec la mala­die et la mort, qui l’amène chaque jour à affron­ter des ques­tions exis­ten­tiel­les, elle incarne une phi­lo­so­phie en action. Le phi­lo­so­phe est un pen­seur, l’infir­mière est un acteur de la phi­lo­so­phie, même si elle n’a pas tou­jours les moyens de phi­lo­so­pher.

Pour être reconnue, la pro­fes­sion a besoin de for­ma­li­ser un savoir resté dans le domaine de la trans­mis­sion orale. Elle doit donc se doter de métho­des d’ana­lyse, mais en se gar­dant bien de confon­dre la fin et les moyens, alors que trop sou­vent on pri­vi­lé­gie les ins­tru­ments au dépens du sens. Les normes et pro­to­co­les sont des outils, mais le dis­cer­ne­ment cons­ti­tue le meilleur guide de l’action pour mettre en oeuvre les com­pé­ten­ces acqui­ses et les savoirs ensei­gnés, car il relève de la connais­sance sen­si­ble, de l’intui­tion spon­ta­née, de la réflexion, de la capa­cité d’adap­ta­tion et d’anti­ci­pa­tion.

Dans les soins infir­miers, tous les concepts actuels sont anglo-saxons : pour éviter la bar­rière cultu­relle, il faut se doter d’une théo­rie en soins infir­miers fran­co­phone. Si elle n’existe pas encore, c’est faute de moyens humains, finan­ciers et logis­ti­ques. Car les théo­ries ne se décou­vrent pas, elles sont crées par des intel­lec­tuels. Et pour pou­voir théo­ri­ser, il faut être capa­ble :
 de se déga­ger de l’emprise des modè­les médi­caux, or l’ima­gi­na­tion demande de l’auto­no­mie,
 de concep­tua­li­ser, or l’infir­mière ne dis­pose pas d’une for­ma­tion uni­ver­si­taire,
 de tester ses hypo­thè­ses, ce qui demande du temps, de l’argent, des équipes de cher­cheurs, or il n’y a pas d’orga­nisme pour la recher­che en soins infir­miers.

C’est pour­quoi les res­pon­sa­bles infir­miers fon­dent tous leurs espoirs dans la créa­tion d’un Ordre Infirmier. Ce ne sont pas les struc­tu­res qui font les hommes, mais la volonté de leurs adhé­rents qui les aide à pro­gres­ser dans le sens du ser­vice du bien commun.

Au delà du gage de reconnais­sance octroyé par la repré­sen­ta­tion natio­nale aux infir­miè­res, c’est le sym­bole d’une volonté poli­ti­que d’affir­mer leur place dans le sys­tème de santé, au ser­vice des citoyens.

Car si l’on freine tel­le­ment la reconnais­sance de cette pro­fes­sion, c’est peut-être parce qu’elle place la per­sonne soi­gnée au centre du sys­tème de santé.

Si l’infir­mière était reconnue, alors le malade aussi pour­rait l’être : ce ne serait plus un "patient", docile devant le méde­cin tout puis­sant, et livré au bon vou­loir des orien­ta­tions et restruc­tu­ra­tions déci­dées par la tech­no­struc­ture.

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