Rendre la santé aux régions : pour une gouvernance qui répond aux citoyens
25 octobre 2025
Combien de fois l’avons-nous entendu ? « L’Agence régionale de santé (ARS) décide, mais on ne sait pas qui, où, ni comment. » Créées en 2010 pour unifier la politique de santé dans chaque région, les ARS sont devenues des acteurs incontournables. Elles planifient les hôpitaux, autorisent les cliniques, financent les maisons de santé, contrôlent les établissements médico-sociaux, gèrent la prévention, la vaccination, la qualité et même les crises sanitaires.
Mais à qui rendent-elles des comptes ? Pas aux citoyens. Pas aux élus. Et encore moins aux soignants.
La santé publique française souffre moins d’un manque de structures que d’un déficit de responsabilité. Dans chaque région, un directeur général d’ARS est nommé par décret ministériel, avec une lettre de mission venue de Paris. Au terme de quelques années, il change de région, de ministère ou de fonction. Entre-temps, les décisions prises localement (ouvertures ou fermetures de services, orientations de fonds, priorités de prévention,...) engagent des millions d’euros et des milliers de vies. Or, aucune instance élue ne valide ni n’évalue ces choix.
La santé sans visage politique
Dans une démocratie mature, la santé doit avoir un responsable politique identifiable. En Allemagne, chaque Land (État fédéré) dispose d’un ministre régional de la Santé. Il conduit la planification hospitalière, oriente les investissements, signe les contrats avec les hôpitaux et répond chaque année devant le Parlement régional. Les citoyens savent à qui demander des comptes.
En France, personne ne le peut. Le préfet représente l’État ; le directeur général de l’ARS applique une feuille de route nationale ; la Région n’a qu’un rôle consultatif. Résultat : une gouvernance hors sol, où les décisions se perdent dans des circuits interminables, et où l’échelon régional reste administré, non responsable.
Les ARS ont un mérite : elles ont rapproché des services auparavant dispersés entre hôpital, sécurité sanitaire et médico-social. Mais elles ont aussi concentré le pouvoir dans une main unique. Leur mode de fonctionnement, vertical et technocratique, a souvent nourri la méfiance.
Pendant la crise du Covid-19, beaucoup de maires, de présidents d’intercommunalité, de soignants et d’associations ont constaté la même chose : des décisions prises sans concertation, parfois en contradiction avec la réalité du terrain.
Cette centralisation produit des injonctions déconnectées, et parfois des absurdités : des lits fermés faute de personnel, des plans de santé publique sans moyens, des priorités nationales qui étouffent les besoins locaux.
Rendons la santé aux territoires : il faut réformer les ARS pour les ancrer dans la démocratie. L’idée est simple : créer dans chaque région une Autorité régionale de santé et de l’autonomie (ARSA), placée sous la co-tutelle de l’État et de la Région.
Le préfet resterait garant de la sécurité sanitaire, mais la planification, la prévention et les investissements relèveraient d’un Vice-président du Conseil régional chargé de la santé, élu et responsable devant les citoyens. Chaque année, il présenterait un bilan de santé régional, avec des indicateurs publics : délais d’attente, densité de professionnels, accès à la prévention, taux de renoncement aux soins, qualité de vie des personnes âgées ou handicapées.
Ce modèle de gouvernance partagée s’inspire de la répartition des compétences dans les Länder allemands :
– les ministères régionaux de la santé planifient et financent les investissements hospitaliers ;
– les autorités locales (Gesundheitsämter) gèrent la santé publique de proximité, la vaccination, la santé environnementale et la promotion de la santé ;
– l’État fédéral fixe les grandes orientations et les normes de sécurité.
Ce partage clair des rôles crée une gouvernance proche, lisible et accountable. En France, une telle évolution redonnerait à la politique de santé un ancrage territorial et un visage démocratique.
La démocratie sanitaire au cœur
France Assos Santé, qui fédère les principales associations de patients et d’usagers, plaide depuis plusieurs années pour une réelle démocratie sanitaire. Ses propositions sont précieuses : elles ne réclament pas plus d’organismes, mais plus de voix. Elles demandent que les représentants des patients aient un rôle délibératif dans les décisions régionales ; que les données de santé soient publiques ; et que les politiques soient évaluées par ceux qui en subissent les effets.
Le Conseil régional de santé deviendrait une instance délibérative, non plus consultative. Présidé par le Vice-président de Région, il rassemblerait citoyens, associations, soignants et élus locaux. Ses avis sur les schémas régionaux de santé seraient conformes, et tout projet de fermeture d’un service public hospitalier serait soumis à audition publique.
Chaque année, le Conseil publierait un tableau de bord citoyen : taux d’accès aux soins, couverture vaccinale, pollution de l’eau, santé mentale, satisfaction des patients. Ainsi, la santé ne serait plus gérée dans le silence des bureaux, mais dans la lumière du débat public.
Le directeur général actuel de l’ARS deviendrait un directeur exécutif, nommé pour cinq ans, évalué publiquement et révocable en cas d’échec manifeste. Sa lettre de mission serait co-signée par l’État et la Région, et ses résultats présentés en séance publique du Conseil régional.
Les usagers, eux, disposeraient d’un droit de saisine pour alerter sur toute atteinte grave à l’accès ou à la sécurité des soins. Ce droit d’alerte serait traité dans un délai de deux mois, avec une réponse publiée et argumentée. La démocratie sanitaire, ce n’est pas une case à cocher : c’est un contre-pouvoir légitime.
Certains redoutent une « balkanisation » de la santé. L’exemple allemand prouve le contraire. Les Länder gèrent leur système hospitalier, mais les droits fondamentaux (sécurité, qualité, accès minimal) restent nationaux.
Rien n’interdit à la France de garantir un socle commun tout en donnant aux régions la liberté d’adapter.
Aujourd’hui, les inégalités territoriales d’accès aux soins explosent : délais multipliés par trois entre régions, désertification médicale, disparités d’équipements.
Rendre la santé à la République des territoires
Donner des pouvoirs réels aux régions, c’est aussi leur donner les moyens d’agir. Car régionaliser la santé, ce n’est pas se désengager. C’est assumer la responsabilité là où la décision se prend. C’est aussi simplifier : moins d’interfaces, plus de lisibilité.
La France dispose déjà d’un réseau solide d’agents publics au sein des ARS ; il ne s’agit pas de le démanteler, mais de le repositionner dans une gouvernance politique, transparente et évaluée.
Les professionnels, les associations et les élus locaux gagneraient un interlocuteur stable, mandaté, responsable. Les citoyens, eux, sauraient enfin qui répond quand la santé publique faillit.
La crise du Covid-19 l’a rappelé : les décisions de santé ne peuvent pas toutes être prises depuis Paris. Les régions, les métropoles, les départements ont prouvé leur capacité à organiser, innover, coopérer. Ce qu’il manque, ce n’est pas la compétence : c’est le pouvoir de décider.
Réformer les ARS pour les placer sous co-tutelle État–Région, avec une responsabilité politique élue et une participation citoyenne réelle, ce n’est pas un luxe institutionnel. C’est une condition de survie démocratique.
Parce qu’en santé, l’efficacité n’a de sens que si elle s’accompagne de redevabilité. Et qu’en République, gouverner sans rendre de comptes, c’est déjà se couper du soin.
La santé ne doit plus être un territoire administratif, mais un territoire de responsabilité publique. Donner du pouvoir aux régions, c’est rapprocher la décision du terrain, responsabiliser les élus, et redonner confiance aux citoyens.
Et si la prochaine réforme de la santé commençait enfin par une évidence : la santé appartient à ceux qui la vivent.