Colloque universitaire sur les soins palliatifs (Liban, mars 2011)

2 avril 2011

Au cours des dernières décennies le concept des soins palliatifs, né dans les années 1960, a pris de l’essor pour accompagner les patients en fin de vie. Aujourd’hui, une panoplie de soins est offerte, pour soulager la souffrance du malade. Au nombre de ces soins, la sédation.

Comment sou­la­ger la dou­leur d’un patient en fin de vie ? Quels sont les enjeux éthiques que posent les soins offerts à ce stade de l’exis­tence ? Comment accom­pa­gner le patient tout en lui gar­dant son auto­no­mie ? Des inter­ro­ga­tions poin­tues aux­quel­les sont affron­tés les corps médi­cal et infir­mier au quo­ti­dien, et qui ont été abor­dées par deux spé­cia­lis­tes cana­dien­nes en soins pal­lia­tifs.

Mmes Danielle Blondeau, pro­fes­seur à l’Université Laval-Canada, et Mireille Lavoie, pro­fes­seur agré­gée à l’Université Laval-Canada, avaient pris part au col­lo­que orga­nisé en mars 2011 par l’Université anto­nine (Liban) sur le thème « Santé des femmes et onco­lo­gie ».

La séda­tion pal­lia­tive reste l’un des trai­te­ments offerts en phase ter­mi­nale. Il s’agit tou­te­fois d’une pra­ti­que contro­ver­sée, qui pose de nom­breux enjeux éthiques, d’aucuns affir­mant que c’est une « forme dégui­sée d’eutha­na­sie ». « Nous par­lons de séda­tion pal­lia­tive plutôt que de séda­tion ter­mi­nale, qui a une conno­ta­tion néga­tive, expli­que Mme Blondeau. La séda­tion ter­mi­nale laisse enten­dre qu’on veut mettre un terme à la vie, alors que la séda­tion pal­lia­tive est une façon de concep­tua­li­ser l’inter­ven­tion dans un milieu de soins pal­lia­tifs, pour­suit-elle. Au fait, l’inten­tion­na­lité de l’acte prend toute son impor­tance. Soulager et hâter la mort ne sont pas des pra­ti­ques équivalentes sur le plan éthique. Dans une étude récente effec­tuée au Canada, les méde­cins inter­viewés indi­quent clai­re­ment que la fina­lité pour­sui­vie par la séda­tion est thé­ra­peu­ti­que, puisqu’elle vise uni­que­ment à sou­la­ger le patient ».

L’indi­ca­tion de la séda­tion pal­lia­tive repose sur « la pré­sence d’un symp­tôme réfrac­taire, c’est-à-dire un symp­tôme qui a échappé à toute la pano­plie de trai­te­ments thé­ra­peu­ti­ques usuels ». Dans cer­tains cas, en fait, il est impos­si­ble de sou­la­ger la dou­leur « autre­ment que par une séda­tion ». « Celle-ci va plon­ger le patient dans l’incons­cience, indi­que Mme Blondeau. Il s’agit d’un som­meil arti­fi­ciel qui lui don­nera un répit face à la dou­leur. » Un pro­blème éthique se pose tou­te­fois à ce stade, puis­que « ces per­son­nes vont s’éteindre sans avoir émergé du som­meil induit par la séda­tion ». Une alter­na­tive est envi­sa­gea­ble. « On peut offrir au patient une séda­tion inter­mit­tente, qui consiste à le plon­ger dans le som­meil pour lui donner un répit et le faire ensuite émerger pour une réé­va­lua­tion de la situa­tion », ajoute-t-elle.

L’auto­no­mie du patient

Mme Blondeau indi­que par ailleurs que la séda­tion pose un autre enjeu éthique majeur, « celui de la souf­france exis­ten­tielle ». « On a plus de réser­ves à trai­ter la souf­france exis­ten­tielle, note-t-elle. Et la ques­tion qui se pose à ce niveau est celle de savoir si on doit aban­don­ner une per­sonne à son malaise. Par contre, d’un point de vue éthique, offrir la séda­tion inter­mit­tente demeure une alter­na­tive accep­ta­ble où une per­sonne peut être sou­la­gée de sa souf­france, puis émerger de l’incons­cience. Mais est-ce que la souf­france exis­ten­tielle est un symp­tôme médi­cal ou s’agit-il sim­ple­ment d’une crise de notre huma­nité ? Tout être humain passe par des crises et des pério­des de malaise, devrait-on pour autant recou­rir à un trai­te­ment aussi dra­ma­ti­que que la séda­tion ? »

La séda­tion est-elle bien accueillie par les famil­les ?

« Dans les milieux spé­cia­li­sés en soins pal­lia­tifs, on n’a pas de réser­ves à recou­rir à cette pra­ti­que, répond Mme Blondeau. Par contre, la déci­sion se prend avec le patient. Une étude conduite au Québec a montré que les méde­cins se sou­cient vrai­ment du res­pect de l’auto­no­mie du patient qui doit pren­dre une déci­sion dans ce sens. En cas d’inap­ti­tude cog­ni­tive du patient, la famille ou le repré­sen­tant légal seront consul­tés. »

Et de pré­ci­ser : « Les méde­cins sont très pru­dents à envi­sa­ger une séda­tion parce qu’elle coupe l’inte­rac­tion avec les pro­ches. Mais il faut dire qu’il s’agit d’une pra­ti­que d’excep­tion, d’autant que nous dis­po­sons d’une pano­plie de ser­vi­ces. Il est impor­tant par ailleurs de signa­ler qu’au cours des vingt-cinq der­niè­res années, les soins pal­lia­tifs au Québec se sont beau­coup déve­lop­pés de sorte que le sou­la­ge­ment de la souf­france est devenu une réa­lité. Désormais, il est pos­si­ble de contrô­ler la dou­leur et ses symp­tô­mes en fin de vie, de sorte que la séda­tion demeure l’alter­na­tive ultime pour les patients qui échapperaient aux trai­te­ments usuels. »

Perspective inter­dis­ci­pli­naire

Quand déci­der d’une séda­tion ? « Le choix du trai­te­ment et de la prise en charge du patient se fait dans une pers­pec­tive inter­dis­ci­pli­naire tou­jours orien­tée vers le patient, indi­que pour sa part Mme Lavoie. Ainsi, toutes les déci­sions sont prises en fonc­tion de la volonté et des valeurs du patient, de ce qu’il désire et de ce qu’il espère. Le pas­sage du soin cura­tif vers une appro­che pal­lia­tive se fait ainsi en met­tant la per­sonne concer­née au centre des déci­sions. »

Mme Lavoie sou­li­gne dans ce cadre que l’infir­mière a un impor­tant rôle à jouer à ce stade « pour mettre en valeur cette pers­pec­tive, en vertu notam­ment de ses connais­san­ces et exper­ti­ses ». « Elle peut pro­po­ser la démar­che à suivre pour que le patient connaisse une belle mort, insiste-t-elle. Une per­sonne peut choi­sir par exem­ple de ne pas rece­voir une séda­tion ou un médi­ca­ment qui ris­que­rait de la faire dormir, parce qu’elle sou­haite être avec ses pro­ches le plus long­temps pos­si­ble et le plus éveillée pos­si­ble pour pou­voir pro­fi­ter de ses der­niers moments avec les per­son­nes qui comp­tent pour elle, sa famille à titre d’exem­ple. »

Dans ce cas, com­ment sou­la­ger la dou­leur ? « On recourt dans ces cas à d’autres moyens alter­na­tifs qui sont moins connus, comme les mas­sa­ges, la médi­ta­tion... indi­que Mme Lavoie. Il y a tou­jours une solu­tion. Et c’est au soi­gneur d’être créa­tif et d’envi­sa­ger de recou­rir à ces autres moyens. »

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