Déprescription : le patient doit être acteur de ses traitements, l’infirmière peut l’aider

5 novembre 2024

S’il ne faut jamais arrê­ter un médi­ca­ment sans l’avis d’un méde­cin, chaque médi­ca­ment pres­crit doit être régu­liè­re­ment réé­va­lué  : est-il tou­jours utile ? Quels sont ses inconvé­nients ? Faut-il conti­nuer à le pren­dre, chan­ger de médi­ca­ment, réduire les doses ?

En par­ti­cu­lier, les per­son­nes âgées ont sou­vent une ordon­nance impres­sion­nante, alors que pren­dre 10 médi­ca­ments ou plus par jour est asso­cié à deux fois plus de risque de faire une chute chez les per­son­nes de plus de 60 ans.

Avec le temps, et en vieillis­sant, cer­tains médi­ca­ments peu­vent deve­nir inu­ti­les, voire même nui­si­bles, à cause d’effets secondai­res, d’inte­rac­tions médi­ca­men­teu­ses et d’hos­pi­ta­li­sa­tions. La dépres­crip­tion signi­fie réduire ou arrê­ter les médi­ca­ments qui n’ont plus d’effets béné­fi­ques ou qui peu­vent être nui­si­bles. Avec l’enca­dre­ment d’un méde­cin, le but de la dépres­crip­tion est de main­te­nir ou amé­lio­rer la qua­lité de vie.

Plutôt que de lais­ser votre méde­cin repres­crire méca­ni­que­ment la même ordon­nance tous les 6 mois, il convient de pren­dre le temps d’exa­mi­ner le béné­fice/risque d’un trai­te­ment. Les médi­ca­ments qui peu­vent être nui­si­bles et pour les­quels la dépres­crip­tion devrait être consi­dé­rée, par­ti­cu­liè­re­ment chez les per­son­nes âgées de plus de 65 ans, concer­nent par exem­ple les som­ni­fè­res, les médi­ca­ments contre l’anxiété (type Xanax®) ou contre le reflux acide (inhi­bi­teurs de la pompe à pro­tons, les anti-inflam­ma­toi­res,...

Pour Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI CFE-CGC), "dans le cadre de son Code de Déontologie, l’infir­mière à un rôle de média­teur entre le méde­cin et le patient âgé poly­mé­di­qué, car dans son rôle auto­nome, en tant que pra­ti­cienne, elle a une res­pon­sa­bi­lité dans le cadre d’une pres­crip­tion médi­cale".

L’arti­cle R 4312-42 du Code de la Santé Publique sti­pule que "Si l’infir­mier a un doute sur la pres­crip­tion, il la véri­fie auprès de son auteur ou, en cas d’impos­si­bi­lité, auprès d’un autre membre de la pro­fes­sion concer­née. En cas d’impos­si­bi­lité de véri­fi­ca­tion et de ris­ques mani­fes­tes et immi­nents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses com­pé­ten­ces pro­pres, l’atti­tude qui permet de pré­ser­ver au mieux la santé du patient, et ne fait pren­dre à ce der­nier aucun risque injus­ti­fié."

Dans une publi­ca­tion d’octo­bre 2015, l’Institut de recher­che et docu­men­ta­tion en économie de la santé (IRDES) a montré que les patients âgés poly­mé­di­qués (pre­nant 10 médi­ca­ments et plus par jour) rési­dent davan­tage dans le nord de la France (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Ardennes) et dans quel­ques dépar­te­ments du Centre (Cantal, Corrèze, Creuse, Cher) plutôt qu’à Paris. "Cette dis­pa­rité ter­ri­to­riale montre que le niveau d’impli­ca­tion du patient joue un rôle en la matière, or en tant qu’éducatrice de santé l’infir­mière doit éclairer l’ensem­ble des patients sur l’impor­tance de pren­dre en main leur trai­te­ment" estime Thierry Amouroux.

La conci­lia­tion des trai­te­ments médi­ca­men­teux (ou conci­lia­tion médi­ca­men­teuse) est une démar­che qui permet de pré­ve­nir et d’inter­cep­ter les erreurs médi­ca­men­teu­ses. Elle repose sur la trans­mis­sion et le par­tage d’infor­ma­tions com­plè­tes et exac­tes entre les mem­bres de l’équipe de soins et le patient tout au long de son par­cours. En mars 2015, le Collège de la HAS (Haute Autorité de Santé) l’a défi­nie comme « un pro­ces­sus for­ma­lisé qui prend en compte, lors d’une nou­velle pres­crip­tion, tous les médi­ca­ments pris et à pren­dre par le patient. Elle asso­cie le patient et repose sur le par­tage d’infor­ma­tions comme sur une coor­di­na­tion plu­ri­pro­fes­sion­nelle. Elle pré­vient ou cor­rige les erreurs médi­ca­men­teu­ses. Elle favo­rise la trans­mis­sion d’infor­ma­tions com­plè­tes et exac­tes sur les médi­ca­ments du patient, entre pro­fes­sion­nels de santé aux points de tran­si­tion que sont l’admis­sion, la sortie et les trans­ferts ».

La conci­lia­tion médi­ca­men­teuse contri­bue à une meilleure infor­ma­tion du patient et de son entou­rage, ainsi qu’au bon usage du médi­ca­ment. C’est aussi un enjeu de santé publi­que : en France, les pro­blè­mes liés à la thé­ra­peu­ti­que médi­ca­men­teuse sont à l’ori­gine de 21,7 % des hos­pi­ta­li­sa­tions des per­son­nes âgées ; ils cons­ti­tuent aussi le pre­mier motif des réhos­pi­ta­li­sa­tions. https://www.cairn.info/revue-geron­to­lo­gie-et-socie­te1-2002-4-page-93.htm#an­chor_abs­tract

Une expé­rience a été menée au Canada par les cher­cheurs du réseau cana­dien pour la dépres­crip­tion. Ils ont édité une bro­chure d’infor­ma­tion envoyée direc­te­ment aux per­son­nes qui pre­naient depuis un cer­tain temps des ben­zo­dia­zé­pi­nes (tels que Xanax, Lexomil, Témesta, Séresta, Stilnox, Imovane). Ces médi­ca­ments per­dent en effi­ca­cité au cours du temps et pro­vo­quent des effets indé­si­ra­bles impor­tants (fati­gue, chutes, trou­bles de la mémoire, etc.). C’est pour­quoi leur usage chro­ni­que est par­ti­cu­liè­re­ment déconseillé aux per­son­nes de plus de 65 ans.

Leur docu­ment expli­que en lan­gage très simple les ris­ques asso­ciés à cette prise. Il pro­pose un plan de sevrage, c’est-à-dire un guide pour décroî­tre les doses et fina­le­ment arrê­ter, car les ben­zo­dia­zé­pi­nes doi­vent géné­ra­le­ment être stop­pées pro­gres­si­ve­ment. La bro­chure invite bien sûr le lec­teur à consul­ter un méde­cin avant de cesser tout médi­ca­ment.

La majo­rité des per­son­nes contac­tées ont initié une dis­cus­sion à ce propos avec un pro­fes­sion­nel de santé et plus de la moitié de celles qui ont décidé d’arrê­ter y sont par­ve­nues. Un très bon résul­tat pour des médi­ca­ments répu­tés dif­fi­ci­les à arrê­ter ! Pour ceux qui sou­hai­tent s’infor­mer à propos de ces médi­ca­ments, qui s’inquiè­tent pour eux ou pour un proche et qui vou­draient enga­ger la dis­cus­sion avec leur méde­cin, la bro­chure est dis­po­ni­ble sur http://www.criugm.qc.ca/fichier/pdf/ben­zo­dia­ze­pi­nes­FRA.pdf

Voir également :
 La dépres­crip­tion chez les aînés et le rôle des infir­miè­res pour tendre vers des poly­mé­di­ca­tions appro­priées, une revue nar­ra­tive de la lit­té­ra­ture
https://www.scien­ce­di­rect.com/science/arti­cle/abs/pii/S2352802817300972
L’infir­mière a un rôle impor­tant en phar­ma­co­vi­gi­lance et doit contri­buer à la dépres­crip­tion pour assu­rer le bien-être et la sécu­rité du patient. Pour assu­mer son plein rôle, il est essen­tiel que sa for­ma­tion en phar­ma­co­lo­gie soit à jour et qu’elle connaisse bien les limi­tes de sa pra­ti­que ainsi que les lois et règle­ments en vigueur dans son pays.
 Le Réseau cana­dien pour l’usage appro­prié des médi­ca­ments et la dépres­crip­tion (ReCAD)
https://www.reseau­de­pres­crip­tion.ca/
 Rôle infir­mier aux cotés des per­son­nes souf­frant d’addic­tion aux opioï­des
https://www.syn­di­cat-infir­mier.com/Role-infir­mier-aux-cotes-des-per­son­nes-souf­frant-d-addic­tion-aux-opioi­des.html
 Polypharmacie et dépres­crip­tion : des réa­li­tés cli­ni­ques et de recher­che jusqu’à la sur­veillance
https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publi­ca­tions/2269_poly­phar­ma­cie_depres­crip­tion_rea­li­tes_cli­ni­ques.pdf
 Déprescription : l’infir­mière peut sécu­ri­ser le trai­te­ment
https://www.espa­cein­fir­mier.fr/actua­li­tes/180214-depres­crip­tion-l-infir­miere-peut-secu­ri­ser-le-trai­te­ment.html
 Déprescription, vous avez dit dépres­crip­tion ?
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/depres­crip­tion-vous-avez-dit-depres­crip­tion
 Déprescription : ai-je encore besoin de ce médi­ca­ment ?
https://www.san­te­men­tale.fr/2018/02/depres­crip­tion/
 Décroissance des ben­zo­dia­zé­pi­nes : le rôle infir­mier en ques­tion
https://www.san­te­men­tale.fr/2024/05/depres­crip­tion-des-ben­zo­dia­ze­pi­nes-le-role-infir­mier-en-ques­tion/

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