L’infirmier dans l’éducation thérapeutique

9 décembre 2010

L’infirmier dans l’éducation thérapeutique : une mission à part entière au sein de l’équipe pluridisciplinaire pour répondre avec efficience aux besoins des patients (position adoptée par le Conseil National de l’Ordre des Infirmiers le 7 décembre 2010)

L’éducation thé­ra­peu­ti­que a été défi­nie ainsi par la loi HPST du 21 juillet 2009, à l’arti­cle L. 1161-1 du code de la santé publi­que : « L’éducation thé­ra­peu­ti­que s’ins­crit dans le par­cours de soins du patient. Elle a pour objec­tif de rendre le patient plus auto­nome en faci­li­tant son adhé­sion aux trai­te­ments pres­crits et en amé­lio­rant sa qua­lité de vie. Elle n’est pas oppo­sa­ble au malade et ne peut condi­tion­ner le taux de rem­bour­se­ment de ses actes et des médi­ca­ments affé­rents à sa mala­die. » Les arti­cles R. 1161-4 à R. 1161-26 du CSP et un arrêté du 2 août 2010 pré­ci­sent les moda­li­tés de sa mise en oeuvre.

Dans ce contexte, le Conseil natio­nal de l’Ordre des infir­miers juge prio­ri­taire de pro­mou­voir et valo­ri­ser les pra­ti­ques infir­miè­res dans tous les domai­nes que per­met­tent le cadre régle­men­taire et la for­ma­tion des infir­miers, bien au-delà de ce qui est géné­ra­le­ment perçu aujourd’hui en France.

Cette préoc­cu­pa­tion s’ins­crit dans une évolution forte au niveau euro­péen : dans de nom­breux pays de l’UE, des avan­cées impor­tan­tes ont eu lieu depuis quel­ques années pour reconnaî­tre et déve­lop­per le rôle des infir­miers au sein des équipes de soins. Ces avan­cées concer­nent notam­ment la pré­ven­tion, le suivi cli­ni­que et l’éducation des patients chro­ni­ques ; enfin, les bonnes pra­ti­ques requi­ses pour assu­rer une égalité d’accès aux soins, ainsi que des trai­te­ments à des coûts sup­por­ta­bles pour les sys­tè­mes de santé.

Les besoins en matière d’éducation thé­ra­peu­ti­que

En 2008, la Société fran­çaise de santé publi­que cons­ta­tait que « la plu­part des mala­des chro­ni­ques ne [béné­fi­ciaient] d’aucun pro­gramme d’éducation thé­ra­peu­ti­que ». Que les besoins « sont très divers et, en consé­quence, les pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que doi­vent d’adap­ter à cette varia­bi­lité. » Enfin, que les pro­gram­mes pro­po­sés étaient en majo­rité hos­pi­ta­liers « alors que les patients atteints de mala­dies chro­ni­ques rési­dent à domi­cile ».

Dans son rap­port sur l’éducation thé­ra­peu­ti­que inté­grée aux soins de pre­mier recours, rendu public en novem­bre 2009, le Haut conseil de la santé publi­que a sou­li­gné les points sui­vants :
« L’éducation thé­ra­peu­ti­que aide les per­son­nes attein­tes de mala­die chro­ni­que et leur entou­rage à com­pren­dre la mala­die et le trai­te­ment, à coo­pé­rer avec les soi­gnants et à main­te­nir ou amé­lio­rer leur qua­lité de vie. Pour bon nombre de patho­lo­gies, il est démon­tré que l’éducation thé­ra­peu­ti­que des patients amé­liore l’effi­ca­cité des soins et permet de réduire la fré­quence et la gra­vité des com­pli­ca­tions.
Compte tenu du nombre crois­sant de per­son­nes attein­tes de mala­die chro­ni­que en France (envi­ron 15 mil­lions actuel­le­ment), les besoins en la matière sont très impor­tants. »

L’ONI entend contri­buer à toute démar­che inno­vante qui per­mette d’appor­ter aux patients, notam­ment atteints de mala­dies chro­ni­ques, une amé­lio­ra­tion signi­fi­ca­tive de leur qua­lité de vie au plan sani­taire, psy­cho­lo­gi­que et social.

L’infir­mier, un acteur de pre­mier plan dans l’éducation thé­ra­peu­ti­que

Le CSP dis­pose, dans son arti­cle L. 4311-1 : « Est consi­dé­rée comme exer­çant la pro­fes­sion d’infir­mière ou d’infir­mier toute per­sonne qui donne habi­tuel­le­ment des soins infir­miers sur pres­crip­tion ou conseil médi­cal, ou en appli­ca­tion du rôle propre qui lui est dévolu.
L’infir­mière ou l’infir­mier par­ti­cipe à dif­fé­ren­tes actions, notam­ment en matière de pré­ven­tion, d’éducation de la santé et de for­ma­tion ou d’enca­dre­ment ».

La par­ti­ci­pa­tion des infir­miers à la for­ma­tion et l’éducation à la santé est confir­mée à l’arti­cle R. 4311-1 du CSP. L’arti­cle R. 4311-2 ajoute que les soins infir­miers sont réa­li­sés « dans le res­pect des droits de la per­sonne, dans le souci de son éducation à la santé et en tenant compte de la per­son­na­lité de celle-ci dans ses com­po­san­tes phy­sio­lo­gi­que, psy­cho­lo­gi­que, économique, sociale et cultu­relle ».

Ils ont pour objet « 1° De pro­té­ger, main­te­nir, res­tau­rer et pro­mou­voir la santé phy­si­que et men­tale des per­son­nes ou l’auto­no­mie de leurs fonc­tions vita­les phy­si­ques et psy­chi­ques en vue de favo­ri­ser leur main­tien, leur inser­tion ou leur réin­ser­tion dans leur cadre de vie fami­lial ou social ». Mais aussi « 2° De concou­rir à la mise en place de métho­des et au recueil des infor­ma­tions utiles aux autres pro­fes­sion­nels, et notam­ment aux méde­cins pour poser leur diag­nos­tic et évaluer l’effet de leurs pres­crip­tions » et « 3° De par­ti­ci­per à l’évaluation du degré de dépen­dance des per­son­nes. »

L’éducation pour la santé et l’éducation thé­ra­peu­ti­que font donc partie inté­grante des actes pro­fes­sion­nels de l’infir­mier. Il les exerce par­ti­cu­liè­re­ment dans le cadre du rôle propre qui lui est dévolu par l’arti­cle R. 4311-3 :

« Relèvent du rôle propre de l’infir­mier ou de l’infir­mière les soins liés aux fonc­tions d’entre­tien et de conti­nuité de la vie et visant à com­pen­ser par­tiel­le­ment ou tota­le­ment un manque ou une dimi­nu­tion d’auto­no­mie d’une per­sonne ou d’un groupe de per­son­nes.
« Dans ce cadre, l’infir­mier ou l’infir­mière a com­pé­tence pour pren­dre les ini­tia­ti­ves et accom­plir les soins qu’il juge néces­sai­res (…). Il iden­ti­fie les besoins de la per­sonne, pose un diag­nos­tic infir­mier, for­mule des objec­tifs de soins, met en oeuvre les actions appro­priées et les évalue. »

La for­ma­tion condui­sant au diplôme d’Etat assure à l’infir­mier la com­pé­tence néces­saire pour « ini­tier et mettre en oeuvre des soins éducatifs et pré­ven­tifs », notam­ment conce­voir et mettre en oeuvre une démar­che d’éducation thé­ra­peu­ti­que. Cette com­pé­tence repose sur quatre unités d’ensei­gne­ment, soit plus de 150 heures théo­ri­ques et pra­ti­ques, répar­ties sur les trois années de for­ma­tion. Ainsi, l’infir­mier peut assu­rer plei­ne­ment son rôle d’acteur majeur de l’éducation thé­ra­peu­ti­que.

Toutefois, bien que cette acti­vité soit très lar­ge­ment inves­tie par la pro­fes­sion, au quo­ti­dien ou dans le cadre de pro­gram­mes ciblés, elle reste sou­vent occultée, dans une pers­pec­tive orga­ni­sa­tion­nelle et finan­cière médico-cen­trée. Elle reste aussi mal connue, le contenu des pra­ti­ques étant peu étudié par la recher­che en soins.

En France ─ contrai­re­ment à ce qu’on observe dans la majo­rité des pays euro­péens, et bien que les textes régle­men­tai­res lui per­met­tent une grande marge d’inter­ven­tion ─ l’infir­mier est consi­déré essen­tiel­le­ment comme étant au ser­vice du méde­cin, et non pas comme un acteur de pre­mier recours pour l’éducation thé­ra­peu­ti­que. Pourtant, la plu­part des actions à mettre en oeuvre pour cette éducation ne néces­si­tent pas d’appro­che médi­cale au sens strict du terme.

La contri­bu­tion néces­saire des infir­miers à l’orga­ni­sa­tion et au déploie­ment sur le ter­rain des pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que

L’éducation thé­ra­peu­ti­que ne doit pas être dis­so­ciée des soins. Ces actions font partie inté­grante des acti­vi­tés infir­miè­res, que celles-ci s’exer­cent en établissement de santé, au domi­cile, en entre­prise, à l’école, au col­lège, au lycée ou auprès de per­son­nes à tous les âges de la vie.

Elles sont en fort déve­lop­pe­ment, par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui concerne les patients chro­ni­ques, dont le nombre aug­mente cons­tam­ment. Ces patients sou­hai­tent garder une qua­lité de vie accep­ta­ble, avec un niveau de socia­li­sa­tion se rap­pro­chant d’une per­sonne en bonne santé, tout en gérant au quo­ti­dien des contrain­tes de trai­te­ments et de sur­veillance sou­vent très lour­des à assu­mer seul (dans le cas du dia­bète, de l’asthme et de nom­breu­ses mala­dies géné­ti­ques, par exem­ple).

Les infir­miers doi­vent, dans ces pro­gram­mes, porter une atten­tion par­ti­cu­lière aux patients fra­gi­les ou isolés, car ils néces­si­tent sou­vent un accom­pa­gne­ment plus long, com­plété par une coor­di­na­tion néces­saire entre le sec­teur sani­taire et médico-social, voire social. Cela peut se faire dans le cadre des actions d’accom­pa­gne­ment pré­vues à l’arti­cle L. 1161-3 du CSP.

Cependant, la vision fran­çaise des pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que reste très médico-cen­trée, en même temps qu’hos­pi­talo-cen­trée. Or, l’étude Hill au Royaume-Uni montre que les résul­tats de la prise en charge de l’arthrose par des infir­miè­res spé­cia­li­sées est aussi bonne, en termes de suivi cli­ni­que, que celle assu­rée par des inter­nes, mais un degré de dou­leur infé­rieur a été observé pour les patients du groupe pris en charge par ces infir­miè­res. Le degré de connais­sance de la mala­die et l’indice de satis­fac­tion étaient également meilleurs dans ce groupe

Ce rôle cru­cial des infir­miè­res est également démon­tré dans une étude suisse.

Il appa­raît donc irréa­liste aujourd’hui de pro­mou­voir des pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que où seul le méde­cin se char­ge­rait d’élaborer des plans indi­vi­duels, et où le rôle de l’infir­mier serait noyé parmi celui des autres para­mé­di­caux. L’infir­mier joue un rôle majeur dans les autres pays dans la ges­tion de ces pro­gram­mes, et le cadre régle­men­taire fran­çais le lui permet aussi. Il faut donc lui donner toute son appli­ca­tion.

Pour l’Ordre, ces cons­tats impli­quent de revoir en prio­rité les sujets sui­vants :

1) La place des infir­miers dans l’éducation thé­ra­peu­ti­que

La prise en compte glo­bale des besoins de la per­sonne qui carac­té­rise l’appro­che infir­mière sera par­ti­cu­liè­re­ment utile pour conce­voir et mener à bien ce type de pro­gramme, en concer­ta­tion avec les autres acteurs concer­nés. Il s’agit donc de :
 faire mieux connaî­tre et pren­dre en compte la qua­lité de la for­ma­tion infir­mière ini­tiale dans le domaine de l’éducation à la santé et de l’éducation thé­ra­peu­ti­que, comme une valeur ajou­tée essen­tielle pour les pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que et les actions d’accom­pa­gne­ment ;
 défi­nir et mettre en oeuvre des pro­gram­mes réa­lis­tes au regard de la démo­gra­phie médi­cale, de la for­ma­tion des dif­fé­rents pro­fes­sion­nels de santé et de leur moti­va­tion à accom­pa­gner et suivre ces actions ;
 à l’instar de nom­breux pays euro­péens, avec des résul­tats avérés pour l’effi­cience de l’orga­ni­sa­tion et l’effi­ca­cité des soins, encou­ra­ger enfin un rôle pivot des infir­miers dans ces pro­gram­mes, à tous les niveaux : concep­tion, mise en oeuvre et évaluation ;
 ins­ti­tuer dans ce domaine une ″consul­ta­tion infir­miè­re″ reconnue et codi­fiée comme telle, exer­cée dans le cadre du rôle propre de l’infir­mier.

2) Des plans de santé publi­que orga­ni­sés en fonc­tion des prio­ri­tés régio­na­les pour assu­rer le déve­lop­pe­ment de l’éducation thé­ra­peu­ti­que

Les infir­miers sont sou­vent les pre­miers témoins des iné­ga­li­tés d’accès aux soins. Or, les pro­gram­mes d’éducation thé­ra­peu­ti­que doi­vent être acces­si­bles à tous.

L’Ordre natio­nal des infir­miers, par l’inter­mé­diaire de ses conseils régio­naux, est à même d’assu­rer une veille sur les ris­ques émergents sur le ter­rain pour l’accès aux soins. Ces obser­va­tions régio­na­les per­met­tront à l’ONI, relai de l’exper­tise des pro­fes­sion­nels, de faire des pro­po­si­tions aux auto­ri­tés de santé, au regard des besoins et de leurs évolutions, dif­fé­rents selon les régions, en vue des prio­ri­tés à déci­der par les ARS

Etudes inter­na­tio­na­les :
 Hill J et coll : Do O.A. patients gain addi­tio­nal bene­fit from care from a cli­ni­cal nurse spe­cia­list ? A ran­do­mi­zed cli­ni­cal trial. Rhumatology, 2009 ; 48 : 658-664
 Bischoff, A ; Ekoe T ; Perone, N ; Slama, S ; Loutant, L ; Chronic Disease Management in sub-Saharan Africa : whose busi­ness is it ? Int. J envi­ron. Res. Public health 2009, 6, 2258-2270

Source : posi­tion adop­tée par le Conseil National de l’Ordre des Infirmiers le 7 décem­bre 2010

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