L’ordre des infirmiers condamne la cancérologie low cost en Ile de France
26 avril 2013
Communiqué du CROI Ile de France
Le Conseil Régional de l’ordre des Infirmiers estime que le protocole de coopération en cancérologie validé le 28.12.12 par l’ARS Ile de France est contraire aux règles de bonnes pratiques, constatées dans les revues de littératures professionnelles.
Le CROI a décidé de saisir le Haut Conseil de Santé Publique (copie ci-dessous), car ce protocole de coopération pose un problème de santé publique, les compétences requises n’étant pas adaptées aux pratiques professionnelles autorisées. Le dispositif réglementaire jusque là destiné à garantir la sécurité des patients est ainsi contourné : formation initiale basée sur un programme officiel fixé par arrêté, évaluation des compétences acquises par le moyen d’un examen, et attribution d’un diplôme d’Etat habilitant à un exercice règlementé et protégés.
Paris, le 22 avril 2013
Monsieur le Président du Collège du Haut Conseil de Santé Publique,
Le Conseil Régional de l’Ordre des Infirmiers d’île de France souhaite vous alerter sur un protocole de coopération en cancérologie, pris dans le cadre de l’article 51 de la loi Bachelot du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi HPST) qui autorise les « coopérations entre professionnels de santé », pour effectuer la mise en place, à titre dérogatoire, de transferts d’actes ou d’activités de soins qui ne figurent pas dans le décret d’actes infirmiers.
L’ARS IDF a publié le 28.12.12 un arrêté validant un protocole de « Consultation infirmière de suivi des patients traités par anticancéreux oraux à domicile, délégation médicale d’activité de prescription » qui autorise en particulier la « Prescription de certains médicaments à but symptomatique pour traiter les effets indésirables des traitements anticancéreux : antiémétiques ; anxiolytiques ; antibiotiques de la classe des cyclines, anti-diarrhéiques, topiques cutanés » ainsi que la « Décision de renouvellement de la chimiothérapie orale », par une infirmière, moyennant une « formation théorique de 45 heures », validée par une simple « attestation de suivi de la formation » !
Ce protocole de coopération pose un problème de santé publique, les compétences requises n’étant pas adaptées aux pratiques professionnelles autorisées. Le dispositif réglementaire jusque là destiné à garantir la sécurité des patients est ainsi contourné : formation initiale basée sur un programme officiel fixé par arrêté, évaluation des compétences acquises par le moyen d’un examen, et attribution d’un diplôme d’Etat habilitant à un exercice règlementé et protégés.
Un suivi de groupes de patients atteints de pathologies chroniques doit reposer sur une approche globale, qui nécessite une expertise infirmière, une autonomie importante et comporte la mise en œuvre d’activités dérogatoires (diagnostic de pathologies et prescription médicaments/examens complémentaires). La notion de compétence introduit une capacité d’analyse, de discernement, de jugement, de décision, donc une relative autonomie ; celle de transfert relève d’une action de transposition (faire en lieu et place de).
Le Conseil international des infirmières, grâce à l’expertise de son Réseau international des infirmières spécialisées et des pratiques professionnelles avancées dans le domaine des soins infirmiers (INP/APNN) a formellement adopté la définition suivante (CII 2002) : « Une infirmière spécialiste / experte est une infirmière diplômée d’État qui a acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de son métier, pratique avancée dont les caractéristiques sont déterminées par le contexte dans lequel l’infirmière sera autorisée à exercer. Une formation de base de niveau maîtrise (master) est recommandée. »
Les premières Nurses Practitioner ont été formées à l’Université du Colorado en 1960 en suivant un programme de niveau Master. La présence d’infirmière de pratique avancée est donc très bénéfique et pour la qualité de la prise en charge, pour le confort du patient et sur un plan économique, à condition d’avoir acquis de nouvelles compétences, dans le cadre d’un programme de formation reconnu, et validées par un examen.
L’OCDE a publié en juillet 2010 un rapport sur le développement des pratiques avancées infirmières dans 12 pays de l’OCDE : Australie, Belgique, Canada, Chypre, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Japon, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni (Delamaire, M. et G. Lafortune (2010), « Les pratiques infirmières avancées : une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés », Éditions OCDE).
Dans la plupart des pays, un diplôme de maîtrise en soins infirmiers (master) est maintenant recommandé ou requis.C’est le niveau d’études obligatoire qui a été établi en Australie, où est mis en place de nouveaux programmes d’enseignement pour les infirmières en pratique avancée. Aux États-Unis et au Canada, les niveaux d’études requis ont graduellement augmenté, un diplôme de master étant maintenant la norme pour devenir infirmière en pratique avancée. Il y a aujourd’hui 158.348 « infirmières praticiennes » et 59.242 « infirmières cliniciennes spécialisées » aux USA.
Il en résulte que 330.000 « infirmières de pratiques avancées » de 25 pays ne peuvent disposer de telles compétences qu’après deux années d’études supplémentaires validées par un Master. Aussi, notre Conseil estime que ce protocole de coopération en cancérologie est contraire aux règles de bonnes pratiques, constatées dans les revues de littératures professionnelles :
– Primary care outcomes in patients treated by nurse practitionners or physicians JAMA. 2000 ;283:59-68
– A systematic review of the impact of nurse practitioners on cost, quality of care, satisfaction and wait times in the emergency department. CJEM. 2007 Jul ; 9(4):286-95
– Nurse practitioners in the Northern Alberta Renal Program. CANNT J. 2007 Apr-Jun ; 17(2):48-50
– Attitude of emergency department patients with minor problems to being treated by a nurse practitioner. CJEM. 2004 Jul ; 6(4):246-52
– Description of an advanced practice nursing consultative model to reduce restrictive siderail use in nursing homes. Res Nurs Health. 2007 Apr ; 30(2):131-40
– Andrew (D), Weinberg (M.D), FACP, CMD, Jefferson Lesesne (A), MD, Chesley (L), Richard, MD, MPH and Jean (K), Pals, RN, C, BSN. Quality care indicators and staffing levels in a mursing facility subacute unit. Journal American Medical Directors Association, january, february 2002
– BUCHAM (J), CALMAN (L), Skill-mix and Policy Change in the Health Workforce : Nurses in Advanced Roles, OECD Health Working Papers, 17
– OECD, Health Care Quality indicators and SHA-based Health Accounts in 13 OECD Countries. OECD Health Working Papers. www.oecd.org, 05/10/2005.
– BOURGUEIL (Y), MAREK (A), MOUSQUES (J). La participation des infirmières aux soins primaires dans six pays européens, en Ontario et au Québec. Questions d’économie de la santé, IRDES, n° 95, Juin 2005, 12 p.
Le Comité de liaison des institutions ordinales du secteur de la santé (CLIO Santé), qui réunit les sept Conseils nationaux des Ordres des professions de santé(Médecins, Pharmaciens, Chirurgiens Dentistes, Sages-femmes, Pédicures, Masseurs Kinésithérapeutes, Infirmiers), a exprimé dès le 15.01.10 :
– « de vives inquiétudes sur ces protocoles de coopération qui ne comporteront aucune garantie pour les usagers sur les qualifications et les compétences des professionnels impliqués, ainsi que sur la régularité et les modalités de leur exercice ».
– « on ne peut que s’interroger sur le paradoxe d’une telle volonté réglementaire à l’heure où doit se mettre en place le dispositif permettant aux professionnels de santé de satisfaire à leur obligation de développement professionnel continu, en valorisant les compétences professionnelles acquises durant leur carrière (formation initiale et formation continue). »
– « Il est, en effet, d’une inconcevable légèreté que le ministère de la santé envisage qu’un professionnel puisse dispenser des soins auprès d’un patient alors même que ces actes n’entrent pas dans son champ légal d’exercice, au vu d’une simple attestation délivrée par une entité dépourvue de compétence en la matière. Le ministère ouvre ainsi la porte aux dérives que pourraient engendrer ces nouvelles modalités d’exercice, alors que les obligations de compétence, de qualité et de continuité des soins, qui sont du ressort des institutions ordinales, ne pourront pas être vérifiées. »
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre respectueuse considération.
Kine VEYER, Présidente du CROI IDF
Ce protocole contesté fait déjà l’objet :
– de recours gracieux du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC devant l’ ARS, le ministère et la Haute Autorité de Santé HAS (4 mars 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-45h-de.html
– d’une saisine du Défenseur des Droits, Dominique BAUDIS (20 mars 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Saisine-du-Defenseur-des-Droits.html
– d’une mission parlementaire de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, sous la coprésidence de Catherine GENISSON et Alain MILON (26 mars 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Cancerologie-low-cost-le.html
– d’une intersyndicale, qui doit être reçue par le Cabinet de la Ministre mi juin (24 avril 2013) http://www.syndicat-infirmier.com/Intersyndicale-CFE-CGC-FO-SNICS.html
– d’une condamnation du Haut Conseil des Professions Paramédicales qui demande son retrait http://www.syndicat-infirmier.com/Le-HCPP-condamne-a-son-tour-la.html