Médicaments cytotoxiques : sauver des vies en risquant la sienne

24 août 2025

Ils sau­vent des vies. Mais ils mena­cent aussi celles qui les admi­nis­trent. Dans les ser­vi­ces d’onco­lo­gie, en rhu­ma­to­lo­gie, en der­ma­to­lo­gie ou à domi­cile, les cyto­toxi­ques sont deve­nus des com­pa­gnons de route du soin moderne. Leur mis­sion est claire : blo­quer l’ADN des cel­lu­les tumo­ra­les. Leur défaut est connu : ils ne sont pas sélec­tifs. Au-delà du patient, ils tou­chent ceux qui pré­pa­rent, trans­por­tent, posent, débran­chent, net­toient, ramas­sent. Des soi­gnants. Des humains.

Le risque n’a rien d’hypo­thé­ti­que. Il est docu­menté, mesuré, chif­fré. Les publi­ca­tions s’accor­dent : l’expo­si­tion pro­fes­sion­nelle per­siste, par­fois à bas bruit, sou­vent par peti­tes tou­ches, tou­jours de trop. Les effets aigus (irri­ta­tions, aller­gies) exis­tent. Les effets dif­fé­rés inquiè­tent davan­tage : trou­bles de la fer­ti­lité, faus­ses cou­ches, mal­for­ma­tions, can­cers. Ce n’est pas une rumeur, c’est un cons­tat étayé par des cohor­tes, des recen­se­ments et des dosa­ges bio­lo­gi­ques.
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/arti­cles/PMC8952240/

La conta­mi­na­tion ne com­mence pas au lit du patient et ne s’arrête pas au retrait de la per­fu­sion. Elle peut sur­ve­nir à chaque maillon du cir­cuit : embal­la­ges souillés, gla­ciè­res de trans­port mal net­toyées, pro­jec­tions à la pose/dépose, gout­te­let­tes, sur­fa­ces, tex­ti­les, déchets, mais aussi excré­tas (urines, vomis­se­ments, selles, sueur) dans les­quels on retrouve le pro­duit inchangé ou ses méta­bo­li­tes actifs. La cham­bre, le cha­riot, la poi­gnée de porte, le télé­phone, la souris d’ordi­na­teur : autant de vec­teurs poten­tiels. Les mesu­res natio­na­les l’ont montré noir sur blanc.
https://www.san­te­pu­bli­que­france.fr/docs/soi­gnants-et-medi­ca­ments-cyto­toxi­ques.-place-de-la-bio­me­tro­lo­gie-dans-la-mai­trise-des-ris­ques-dans-le-temps

Dans un centre hos­pi­ta­lier exclu­si­ve­ment dédié à la can­cé­ro­lo­gie, une équipe INRS a suivi les soi­gnants : 78 % des 23 par­ti­ci­pants avaient au moins un échantillon uri­naire posi­tif au mar­queur du 5-fluo­rou­ra­cile, et 72 % des pré­lè­ve­ments de sur­face (paillas­ses, poi­gnées, télé­pho­nes, souris de PC, sols, pla­teaux de soins, poten­ces, etc.) étaient conta­mi­nés. Autrement dit : l’envi­ron­ne­ment de soin est un réser­voir per­sis­tant.

Les don­nées mul­ti­cen­tri­ques confir­ment l’ampleur du phé­no­mène. Dans une série conduite par l’INRS dans 12 hôpi­taux, 55 % des 104 infir­miers et 58 % des 48 aides-soi­gnants avaient au moins un échantillon uri­naire posi­tif. Détail qui change tout sur le ter­rain : les gants vinyle, courts au poi­gnet, se sont révé­lés insuf­fi­sants pour pro­té­ger l’avant-bras lors de la mani­pu­la­tion des excré­tas et de la lite­rie.

Au-delà de ces chif­fres, les revues sys­té­ma­ti­ques inter­na­tio­na­les dres­sent le même tableau : une frac­tion impor­tante des soi­gnants pré­sente des traces d’anti­néo­pla­si­ques ou de leurs méta­bo­li­tes dans les flui­des bio­lo­gi­ques, et les infir­miè­res cons­ti­tuent la pro­fes­sion la plus expo­sée lorsqu’elles mani­pu­lent ces médi­ca­ments au quo­ti­dien.

Les signaux sont clairs pour la repro­duc­tion : méta-ana­ly­ses et cohor­tes mon­trent un excès de faus­ses cou­ches, de mor­ti­nais­san­ces et de mal­for­ma­tions chez les infir­miè­res expo­sées, sur­tout quand les dis­po­si­tifs de pro­tec­tion et les mesu­res d’ingé­nie­rie ne sont pas sys­té­ma­ti­ques. Pour les can­cers, des études obser­vent des excès pour cer­tains sites (sein, rectum) chez des popu­la­tions mani­pu­lant des anti­can­cé­reux, avec hété­ro­gé­néité selon les métho­des et les expo­si­tions conco­mi­tan­tes (tra­vail de nuit, autres agents).

Pourquoi l’expo­si­tion per­siste ? Parce que le risque est invi­si­ble : pas d’odeur, pas de brû­lure immé­diate, des effets par­fois dif­fé­rés de plu­sieurs années. Parce que la bana­li­sa­tion guette : répé­ter les mêmes gestes quo­ti­dien­ne­ment entre­tient l’illu­sion du contrôle. Mais sur­tout parce que les moyens ne sui­vent pas tou­jours : équipements hété­ro­gè­nes, rup­tu­res de stock d’EPI adap­tés, filiè­res déchets incom­plè­tes, net­toya­ges insuf­fi­sam­ment stan­dar­di­sés.
https://www.inrs.fr/publi­ca­tions/essen­tiels/medi­ca­ments-cyto­toxi­ques.html

Et aussi parce que la for­ma­tion s’arrête trop sou­vent à l’embau­che, quand l’enjeu exige des rap­pels régu­liers et des RETEX d’inci­dent (déver­se­ment, fuite, pro­jec­tion). Utiliser les retours d’expé­rience (RETEX) est essen­tiel pour gérer au mieux les ris­ques sani­tai­res. Les orga­nis­mes euro­péens de santé au tra­vail tirent la son­nette d’alarme depuis des années : « encore trop d’expo­si­tion ».
https://www.cdc.gov/niosh/heal­th­care/risk-fac­tors/anti­neo­plas­tic-agents.html

Pour le Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI, voici ce qu’il faut chan­ger dès main­te­nant :

1) Prendre l’expo­si­tion au sérieux comme un risque chi­mi­que majeur.
 Intégrer réel­le­ment les anti­néo­pla­si­ques dans les plans de pré­ven­tion. La liste CMR (liste nomi­na­tive des tra­vailleurs sus­cep­ti­bles d’être expo­sés à des agents Cancérogènes, Mutagènes ou Reprotoxiques) n’est pas un papier de plus : c’est la colonne ver­té­brale de la tra­ça­bi­lité des expo­si­tions aux cyto­toxi­ques : elle pro­tège les équipes (suivi médi­cal, reconnais­sance ulté­rieure), sécu­rise les pra­ti­ques (preu­ves d’orga­ni­sa­tion) et rendra oppo­sa­ble la démar­che de pré­ven­tion. En milieu de soins, elle doit cou­vrir tout le cir­cuit (récep­tion → trans­port → admi­nis­tra­tion → excré­tas → linge → sur­fa­ces → déchets), y com­pris la co-acti­vité (bio­net­toyage, blan­chis­se­rie, inté­rim).
 Reconnaître et tracer l’expo­si­tion : enre­gis­tre­ment des inci­dents.

2) Avoir des EPI de bon niveau : gants nitrile/néo­prène, sur­blou­ses man­ches lon­gues anti-pro­jec­tion + tablier imper­méa­ble si risque d’éclaboussure, lunet­tes/visière + masque lors des gestes à risque. Oubliez gants vinyle courts pour les excré­tas et la lite­rie : il n’assure pas la pro­tec­tion atten­due !
Ce manque de moyens adap­tés n’est pas aussi visi­ble que les sacs pou­bel­les portés en guise de pro­tec­tion lors du pic Covid, mais les consé­quen­ces sur la santé des soi­gnants sont dra­ma­ti­ques : 4 % des can­cers en France sont dus à une expo­si­tion pro­fes­sion­nelle. Les infir­miè­res, qui mani­pu­lent prin­ci­pa­le­ment ces médi­ca­ments, ont un risque 2,73 fois plus élevé de déve­lop­per un cancer du sein par rap­port à la popu­la­tion géné­rale.
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/arti­cles/PMC10751212/#:~:text=Our%20s­tudy%20did%20not%20mea­sure,com­pa­red%20to%20the%20ge­ne­ral%20po­pu­la­tion.

3) Organiser le soin autour de la sécu­rité.
 Donc exclure les femmes encein­tes/allai­tan­tes des tâches à risque, et pré­voir les rem­pla­ce­ments pour éviter les contor­sions de plan­ning qui font sauter les garde-fous.
 Réaliser annuel­le­ment une évaluation du risque de can­cé­ro­gé­ni­cité pour les dif­fé­rents per­son­nels impli­qués afin de mettre en œuvre les moyens de pré­ven­tion et de pro­tec­tion adé­quats
 Mettre en place un suivi des expo­si­tions des pro­fes­sion­nels notam­ment par la réa­li­sa­tion d’une sur­veillance bio­lo­gi­que des expo­si­tions tous les 3 ans par la méde­cine du tra­vail

4) Former et ré-entraî­ner.
 En for­ma­tion ini­tiale, inté­grer un module de for­ma­tion sur le risque can­cé­ro­gène lié à ces médi­ca­ments
 Sensibiliser au risque can­cé­ro­gène le per­son­nel en contact avec ces sub­stan­ces, dès leur prise de poste et lors de l’entre­tien annuel, à la ges­tion des déchets et des excreta (mani­pu­la­tion, net­toyage)
 Travailler en asso­cia­tion avec les libé­raux en lien avec le ser­vice pour les chi­mio­thé­ra­pies à domi­cile (ges­tion des excré­tas, cir­cuits déchets, infor­ma­tion aux pro­ches), afin de défi­nir des pro­cé­du­res stan­dar­di­sées à appli­quer dans les dif­fé­ren­tes situa­tions d’expo­si­tion.

La pré­ven­tion n’est pas une sur­charge bureau­cra­ti­que. C’est ce qui sépare une pra­ti­que moderne d’une rou­tine à ris­ques. La réa­lité est simple : pro­té­ger les soi­gnants, c’est pro­té­ger les patients. Un ser­vice où l’on sait qui fait quoi, com­ment on net­toie, quel gant on porte et quand on le change est un ser­vice plus sûr pour tous.

Les chif­fres ne disent pas tout, mais ils obli­gent. Quand 78 % d’une équipe expo­sée pré­sente des traces uri­nai­res d’un cyto­toxi­que, quand 72 % des sur­fa­ces d’un ser­vice sont conta­mi­nées, quand plus d’un soi­gnant sur deux a déjà eu un échantillon posi­tif en mul­ti­cen­tri­que, nous ne sommes plus dans la sen­si­bi­li­sa­tion : nous sommes dans la mise en confor­mité. Maintenant. Prendre soin des soi­gnants, c’est déjà leur per­met­tre de soi­gner en sécu­rité.

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Question aux soi­gnants : Vos EPI sont-ils adap­tés aux excré­tas et à la lite­rie ? Vos pro­cé­du­res de sécu­rité en cas d’inci­dent sont-elles connues des nou­veaux et des vaca­tai­res ? La réponse à ces ques­tions, ce n’est pas une case à cocher. C’est la condi­tion pour que soi­gner ne rime jamais avec s’empoi­son­ner.

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 Lutte contre les ris­ques liés aux cyto­toxi­ques : peut mieux faire, juge le SNPI
https://www.infir­miers.com/pro­fes­sion-ide/com­pe­tence-et-role-propre/lutte-contre-les-ris­ques-lies-aux-cyto­toxi­ques-peut-mieux-faire-juge-le-snpi
 Le Syndicat natio­nal des pro­fes­sion­nels infir­miers insiste sur la mise en place de quatre chan­ge­ments dans le quo­ti­dien afin de mettre en place une véri­ta­ble lutte contre l’expo­si­tion aux ris­ques des médi­ca­ments cyto­toxi­ques.
https://www.hos­pi­me­dia.fr/actua­lite/arti­cles/20250826-ges­tion-des-ris­ques-la-lutte-contre-l-expo­si­tion

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