Plaies et cicatrisation : une expertise infirmière, méconnue par la réglementation

2 décembre 2024

En France, envi­ron 2 mil­lions de per­son­nes souf­frent chaque année de plaies chro­ni­ques. Un mil­lion de pan­se­ments sont réa­li­sés chaque semaine. Ces chif­fres, mas­sifs, cachent une réa­lité sou­vent méconnue : 700.000 infir­miè­res géné­ra­lis­tes assu­rent le suivi de plaies par­fois bana­les, par­fois com­plexes, mais tou­jours exi­gean­tes. Derrière chaque soin, il y a une exper­tise cli­ni­que et rela­tion­nelle, cru­ciale pour pré­ve­nir les com­pli­ca­tions graves et amé­lio­rer la qua­lité de vie des patients. Pourtant, cette exper­tise n’est pas reconnue par l’admi­nis­tra­tion, qui refuse de nous en reconnai­tre la com­pé­tence légale.

Les plaies ne gué­ris­sent pas toutes seules. Ulcères, escar­res, brû­lu­res ou encore plaies post-opé­ra­toi­res requiè­rent des évaluations pré­ci­ses : quel type de plaie ? À quel stade de cica­tri­sa­tion ? Quelle patho­lo­gie sous-jacente impacte la gué­ri­son ? Les infir­miers répon­dent à ces ques­tions au quo­ti­dien, ajus­tant les soins, choi­sis­sant les dis­po­si­tifs adap­tés et sur­veillant les signes d’alerte comme l’infec­tion. Ce tra­vail, essen­tiel, dépasse lar­ge­ment le simple geste tech­ni­que. Il exige une connais­sance appro­fon­die des pro­ces­sus bio­lo­gi­ques, des maté­riaux de pan­se­ment, mais aussi une capa­cité à évaluer la situa­tion glo­bale du patient, sou­vent en contexte de poly­pa­tho­lo­gies.

Certaines infir­miè­res pous­sent encore plus loin cette spé­cia­li­sa­tion en obte­nant un Diplôme Universitaire (DU) en plaies et cica­tri­sa­tion. Ces réfé­rents sont sou­vent sol­li­ci­tés dans les équipes de soins pour établir des pro­to­co­les ou former leurs col­lè­gues. Leur exper­tise pour­rait être un atout majeur dans un sys­tème de santé sous ten­sion, mais elle n’a qu’une reconnais­sance offi­cieuse.

Aujourd’hui lorsqu’un infir­mier libé­ral vient à domi­cile faire un pan­se­ment du bras gauche, et qu’il décou­vre un ulcère de jambe, il ne peut qu’invi­ter le patient à consul­ter un méde­cin, alors qu’il a les com­pé­ten­ces pour inter­ve­nir de suite ! Perte de temps, perte de chance !

La loi RIST, adop­tée en mai 2023, sem­blait vou­loir com­bler ce vide. Elle a ins­crit dans le code de la santé publi­que la pos­si­bi­lité pour les 700.000 infir­miers de pren­dre en charge le trai­te­ment et la pré­ven­tion des plaies, ainsi que de pres­crire des exa­mens com­plé­men­tai­res et cer­tains pro­duits de santé. Une avan­cée saluée comme une reconnais­sance tar­dive mais bien­ve­nue. Cependant, le texte reste lettre morte : les décrets pré­ci­sant les moda­li­tés d’appli­ca­tion n’ont tou­jours pas été publiés.

En pra­ti­que, cette absence de cadre légal freine l’action des soi­gnants. Aujourd’hui encore, ils doi­vent par­fois se tour­ner vers un méde­cin pour vali­der des pres­crip­tions ou des déci­sions de soin qu’ils maî­tri­sent par­fai­te­ment. Ce double pro­ces­sus génère des retards et alour­dit un sys­tème déjà saturé. Et pour­tant, la demande est là : avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion et l’aug­men­ta­tion des mala­dies méta­bo­li­ques comme le dia­bète, la prise en charge des plaies devient un enjeu de santé publi­que majeur.

"Les infir­miers ne se conten­tent pas de panser. Leur rôle inclut la trans­mis­sion d’infor­ma­tions clés aux méde­cins, la coor­di­na­tion avec d’autres pro­fes­sion­nels de santé et, sur­tout, le main­tien d’un lien de confiance avec les patients. C’est cette rela­tion, tissée dans la proxi­mité quo­ti­dienne, qui fait toute la dif­fé­rence. Une plaie qui ne guérit pas, c’est bien sou­vent le signe d’un pro­blème plus global : une mau­vaise adhé­sion au trai­te­ment, un iso­le­ment, ou une absence de suivi. L’infir­mier, en pre­mière ligne, est sou­vent le seul à voir ces signaux et à agir en consé­quence." pré­cise Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI.

Pourquoi alors ce rôle reste-t-il si peu reconnu ? La loi a posé les bases, mais le retard dans sa mise en œuvre inter­roge. La pro­fes­sion doit-elle conti­nuer à atten­dre que son exper­tise soit tra­duite noir sur blanc dans les textes régle­men­tai­res ?

Les plaies, comme les sys­tè­mes, se répa­rent avec des soins appro­priés. Combien de patients encore devront atten­dre pour que le sys­tème reconnaisse enfin ceux qui, chaque jour, les accom­pa­gnent dans leur gué­ri­son ?

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