Infirmière hospitalière ou technicienne spécialisée dans une usine à soins ?

13 décembre 2007

Cette question résume le problème infirmier, avec la distance entre ce que nous sommes, et ce que l’on nous demande de faire au quotidien. Il faut cesser de nous demander d’enchaîner les actes de soins, au profit du sens qui motive ces soins : l’infirmière a besoin de penser son action, et non d’être une simple exécutante d’actes techniques.

Du fait de sa formation et de ses compétences acquises, la profession infirmière est autant marquée par la subtilité, la spontanéité, la créativité et l’intuition, que par la science et la technique. D’où sa difficile reconnaissance dans un univers hospitalier bio médicalisé, technoscientifique, dans lequel les principes de gestion veulent tout paramétrer pour mieux maîtriser l’activité.

La volonté de décomposer à tout prix les soins infirmiers est aussi absurde que de penser comprendre une oeuvre d’art en la décomposant en ses divers éléments. La tentation technicienne est toujours de réduire le réel au mesurable, et donc d’éliminer tout ce qui n’est pas observable, tout le qualitatif, en ignorant ainsi les aspects les plus profonds de la pratique infirmière.

L’étique est l’honneur des professionnels, et la position du Comité National d’Ethique sur la tarification à l’activité est rassurante, mais reste à savoir si notre technostructure acceptera de se remettre en question.

L’hôpital Saint Louis de l’AP-HP illustre ces décisions « techniques » prises sans en mesurer les conséquences éthiques et le mal être qui en résulte pour les soignants qui sont en première ligne.

L’hôpital Saint Louis de l’AP-HP souhaite généraliser l’identification des malades par des bracelets d’identité. Le motif invoqué est la sécurité, la durée moyenne de séjour diminuant, tandis que le temps de présence d’un même soignant auprès d’un malade risque de diminuer avec la mutualisation des ressources humaines au niveau des pôles (déplacement d’agents d’autres services pour répondre à la pénurie d’infirmières).

Alors que l’on parle d’humanisation des hôpitaux, du droit des malades, de la dignité des personnes hospitalisées, nous sommes particulièrement choqués par un tel projet. Certes, cela peut être acceptable, au cas par cas, pour des personnes incapables de décliner leur identité (nourrissons, déments), sachant qu’il ne peut y avoir de catégorie particulière (une personne sénile ou un malade mental qui connait son nom n’a pas à subir ce genre d’humiliation), mais que des décisions d’équipe sur une personne donnée.

Par contre, lorsqu’une personne hospitalisée est capable de décliner son identité, lui demander de "s’étiqueter" revient à la nier en tant que personne, à lui faire quitter sa qualité de "sujet, objet de soins", pour en faire un "objet des soins". En effet, l’étiquette informatisée collée sur le bracelet comporte un numéro d’identification et un code barre.

Une jeune infirmière ne se posait pas de problème par rapport au bracelet : elle appliquait la consigne de la direction. Jusqu’au jour où le vieil homme hospitalisé à qui elle demandait de mettre ce bracelet, avec son étiquette à code barre, l’a regardé, à remonté sa manche, et lui a dit « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de votre bracelet, j’ai déjà un numéro d’identification de tatoué ». Face à cet ancien déporté, elle a vécu un grand moment de solitude. Elle n’a jamais pu reprendre en charge ce patient, car quelque chose était brisé dans la relation soignant/soigné. Et pour elle, ce bracelet n’est plus une simple procédure de sécurisation.

A travers ce cas concret (particulièrement sensible, dans la mesure où à l’hôpital Saint Louis se trouve entre Belleville et le Sentier), chacun peut constater que la technique modifie la relation de soins.

Les groupes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quotidien", se sont opposés à un projet d’identification des malades par des bracelets d’identité en 2000. Le succès de leur lettre ouverte et les réactions des infirmières ont amené le Directeur Général de l’AP-HP de l’époque a faire stopper ce projet d’identifier systématiquement les patients hospitalisés.

Sept ans plus tard, nous vous invitons également à saisir le Directeur Général de l’AP-HP pour empécher la généralisation du bracelet :

Pour plus de détails, et signer la pétition en téléchargement
 : cliquer ici

Pour lire le texte rédigé par les groupes de réflexion de l’Espace Ethique AP-HP "Soin citoyen" et "Soignants et éthique au quotidien", lorsqu’ils se sont opposés à un projet d’identification des malades par des bracelets d’identité en 2000 : cliquer ici

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