Ratios, respect, reconnaissance : ce que réclame la profession infirmière

11 mai 2025
Tout le monde a besoin d’infirmières. Mais de plus en plus de pays n’en trouvent plus. Et si la crise de santé publique commençait par une crise de respect ? Le 12 mai est la Journée Internationale des Infirmières. Les décideurs vont la célébrer, tout en maintenant un système qui va broyer les soignants.
C’est un paradoxe planétaire. Jamais les besoins de santé n’ont été aussi grands. Et jamais les systèmes de soins n’ont compté aussi peu de bras pour y répondre.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, il manque aujourd’hui 5,9 millions d’infirmières. Et ce chiffre pourrait grimper à plus de 30 millions dans les années à venir si les tendances actuelles se poursuivent. Dans certains pays, des postes restent vacants pendant des mois. Dans d’autres, les démissions se succèdent à un rythme qui ne permet plus de stabiliser les équipes. Même là où les écoles ou universités forment davantage, les diplômées quittent le métier avant cinq ans.
Officiellement, c’est une pénurie. En réalité, c’est une fuite. Car les soignantes ne disparaissent pas. Elles fuient un environnement devenu invivable.
Le rapport 2025 de Global Nurses United (GNU), fédération internationale de syndicats infirmiers (le SNPI y représente la France), dresse un constat sans détour : la crise mondiale des effectifs est directement liée à la dégradation volontaire des conditions de travail. Ce ne sont pas les engagements qui manquent, ce sont les raisons d’y croire. Les études le confirment : ce que les professionnels redoutent le plus, ce n’est pas la charge émotionnelle de la profession. C’est la surcharge chronique. C’est l’impossibilité de bien faire. C’est l’abandon politique.
Dans les pays du Nord, le malaise prend la forme d’un exode. Les départs s’accélèrent, alimentés par le sentiment d’être sacrifié au nom de l’efficience. Dans les pays du Sud, la crise prend racine dans le sous-financement, les inégalités sociales et l’absence d’infrastructures. Partout, le soin est considéré comme un poste de dépense, jamais comme une richesse.
Et pourtant, le lien est clair. Le dernier rapport du Conseil International des Infirmières le rappelle : les pays qui investissent dans leurs infirmières sont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats en matière de santé publique. Ce n’est pas une intuition, c’est un fait économique. Chaque euro investi dans le personnel infirmier produit un retour net en termes d’espérance de vie, de productivité et de stabilité sociale.
Mais les décideurs ferment les yeux. Parce que les bénéfices ne sont pas visibles dans l’immédiat. Parce que les soignants, souvent, tiennent malgré tout. Parce que la santé des autres n’a pas de place dans un tableau Excel.
Le GNU propose une alternative. Une solution concrète. Documentée. Appliquée avec succès dans plusieurs pays : les ratios légaux infirmière/patient.
Quand ces ratios sont fixés par la loi, la qualité des soins augmente, la mortalité diminue, les erreurs de médication se raréfient, les infections nosocomiales régressent. Les soignantes restent, les patients guérissent mieux. La Californie les a instaurés en 2004. L’Australie a suivi, puis la Corée du Sud. Le Canada les applique depuis 2023 en Colombie-Britannique. La France les a inscrits dans la loi en janvier 2025, avec une mise en œuvre prévue d’ici 2027. À chaque fois, les résultats sont au rendez-vous.
Mais à chaque fois, il faut se battre pour les conserver. Les attaques sont constantes. Dérogations, contournements, suspension pour raisons budgétaires. Comme si protéger la vie avait un coût que l’on pouvait mettre entre parenthèses.
"Et ce coût humain est immense. Les infirmières en sous-effectif vivent sous tension permanente. Elles font face à la détresse des patients, à la solitude dans les décisions, aux violences banalisées, au sentiment de faute permanente. C’est ce que les chercheuses appellent la « détresse morale » : ne pas pouvoir faire ce que l’on sait juste, par manque de temps, de soutien ou de reconnaissance. La crise infirmière n’est pas une fatalité, c’est un choix politique" alerte Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers.
Le burn-out est une conséquence. Mais il ne dit pas tout. Car derrière l’épuisement, il y a souvent un sentiment plus profond : celui d’être piégé dans un système qui trahit ses valeurs.
Le GNU alerte aussi sur une autre menace : la montée en puissance de technologies présentées comme des solutions. Intelligence artificielle, plateformes de mise en relation, gestion algorithmique des plannings. Ces outils peuvent aider. Mais ils sont trop souvent utilisés pour remplacer. Remplacer des soignantes par des lignes de code. Remplacer une présence par une application. Remplacer une décision clinique par un protocole automatisé.
Certaines plateformes vont plus loin. Elles promettent flexibilité et autonomie. Mais elles enferment les professionnelles dans des statuts précaires, sans protection sociale, sans convention collective, sans droit syndical. Pire : elles pratiquent ce que des juristes appellent la « discrimination algorithmique ». Le salaire proposé dépend de la fréquence des missions acceptées, du niveau d’endettement, ou de données opaques. À travail égal, rémunération variable. Un retour en arrière maquillé en modernité.
Le rapport du GNU ne se contente pas d’alerter. Il montre que des alternatives existent. Qu’elles fonctionnent. Et qu’elles ne sont jamais obtenues sans lutte. En Californie, en Australie, en Corée du Sud, les ratios ont été conquis par les mobilisations. Par des syndicats infirmiers qui ont refusé la résignation. Par des soignantes qui ont dit non au sacrifice silencieux.
Mais ces avancées restent fragiles. Dans de nombreux pays, les droits syndicaux sont attaqués. Le droit de grève est remis en cause. La liberté de manifester est encadrée. Et partout, l’austérité revient par la petite porte.
Alors que faire ? Former plus d’infirmières ? Bien sûr. Mais encore faut-il leur donner envie de rester. Encore faut-il que cette profession redevienne praticable, sans perte de sens du fait de conditions de travail indignes.
Car former sans transformer, c’est remplir une baignoire sans réparer la fuite. En France, lorsque 36.000 étudiants entrent en première année d’IFSI (Institut de formation en Soins Infirmiers) seulement 26.000 sont diplômés 3 ans plus tard. Pire, la DREES (direction des statistiques du ministère de la santé) a indiqué dans son rapport de mai 2023, que la moitié des infirmières quittent l’hôpital dans les 10 ans qui suivent le diplôme. Il n’en reste donc que 13.000 ! Face à cela, une solution existe, le passage de 3 à 4 années d’études. Une année supplémentaire permettrait d’étaler la densité du programme : 4600 heures sur 3 ans, soit trois fois plus qu’une licence classique, ce qui entraine de nombreux abandons. L’épuisement professionnel intervient dès la formation. Cet allongement permettrait également de renforcer l’enseignement : combler les manques, notamment en psychiatrie, santé mentale, pédiatrie et soins critiques. Mais aussi de maintenir les futurs diplômés sur le territoire, grâce à un semestre de professionnalisation dans leur région de formation, sur le modèle du « docteur junior » avec un tutorat dédié et compagnonnage en stage de 4ème année.
Et pendant ce temps, les lits ferment. Les soins sont retardés. Les inégalités s’aggravent. Et des patients meurent faute de présence. Pas faute de traitements. La santé ne manque pas de moyens. Elle manque de choix. De priorités. De courage politique.
Alors pourquoi continue-t-on à considérer les infirmières comme une variable d’ajustement ?
Pourquoi ceux qui tiennent le système à bout de bras sont-ils toujours les derniers à être écoutés ?
Et combien de démissions faudra-t-il encore avant que le respect devienne un acte concret, pas une déclaration d’intention ?
Voir également :
– GNU : Faire face à la crise mondiale du personnel infirmier
https://syndicat-infirmier.com/GNU-Faire-face-a-la-crise-mondiale-du-personnel-infirmier.html
– Un état d’urgence silencieux : la profession infirmière en péril
https://syndicat-infirmier.com/Un-etat-d-urgence-silencieux-la-profession-infirmiere-en-peril.html
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