Ratios patients par infirmiers : preuves scientifiques et sécurité des soins

28 novembre 2025

Études internationales, mortalité évitable, qualité des soins : pourquoi les ratios infirmiers sont essentiels pour la sécurité des patients et la réforme du système de santé.

Le débat sur les ratios de patients par soi­gnant n’est pas cor­po­ra­tiste, ni idéo­lo­gi­que : il est scien­ti­fi­que, docu­menté, et pro­fon­dé­ment lié à la sécu­rité des soins. Dans tous les pays où il a été étudié, un fait demeure : plus les infir­miè­res sont nom­breu­ses et qua­li­fiées, moins les patients meu­rent, moins ils se dégra­dent, moins ils revien­nent à l’hôpi­tal.

La France, malgré une tra­di­tion hos­pi­ta­lière forte, reste en retard sur ce sujet. Depuis dix ans, elle a sup­primé 43.500 lits, main­tenu des effec­tifs sous ten­sion et laissé se dégra­der les condi­tions de tra­vail. La loi adop­tée en 2025 impose des ratios par sec­teurs, mais sa mise en œuvre demeure trop lente, trop floue, trop contour­née.

Cette page pro­pose une ana­lyse com­plète :
 Qu’appor­tent les ratios ?
 Quels sont les résul­tats des gran­des études inter­na­tio­na­les ?
 Comment la France se situe-t-elle par rap­port aux autres pays ?
 Pourquoi ces ratios sont indis­pen­sa­bles pour la santé publi­que ?
 Quelles pro­po­si­tions le SNPI défend pour garan­tir une mise en œuvre réelle ?

1. Les preu­ves scien­ti­fi­ques : quand les chif­fres devien­nent des vies humai­nes

1.1. Les études Aiken : le socle mon­dial de la science des ratios

Depuis vingt ans, les tra­vaux de Pr. Linda Aiken (University of Pennsylvania) font réfé­rence. Les gran­des études euro­péen­nes (2014, 2016, BMJ) et inter­na­tio­na­les démon­trent que :
 Chaque patient sup­plé­men­taire par infir­mière aug­mente la mor­ta­lité hos­pi­ta­lière de 7 %.
 Un ratio de 1 IDE pour 6 patients est un seuil de sécu­rité ; au-delà, le risque grimpe.
 Les com­pli­ca­tions évitables (infec­tions, chutes, erreurs, décom­pen­sa­tions) explo­sent quand les équipes sont en sous-effec­tif.
 Les résul­tats sont cons­tants, sur 30 pays, avec des métho­des rigou­reu­ses.

1.2. L’étude amé­ri­caine Medical Care (2024) : l’impact de la sub­sti­tu­tion

En rem­pla­çant des infir­miè­res diplô­mées par du per­son­nel moins qua­li­fié :
 7 % de décès sup­plé­men­tai­res cons­ta­tés,
 11 000 morts évitables par an,
 une hausse nette des réhos­pi­ta­li­sa­tions et des événements indé­si­ra­bles.

Une économie bud­gé­taire mar­gi­nale génère un coût humain, sani­taire et finan­cier consi­dé­ra­ble.

1.3. Les ratios rédui­sent la mor­ta­lité, les infec­tions et les com­pli­ca­tions

Les pays ayant ins­tauré des ratios obli­ga­toi­res cons­ta­tent :
 de - 30 à - 45 % d’infec­tions noso­co­mia­les,
 moins 23 % de réhos­pi­ta­li­sa­tions à 30 jours,
 de - 15 à - 25 % de durée moyenne de séjour,
 moitié moins de tur­no­ver infir­mier.

L’amé­lio­ra­tion du staf­fing est l’un des leviers les plus puis­sants de la qua­lité des soins : bien plus que les dis­po­si­tifs tech­ni­ques ou les cer­ti­fi­ca­tions bureau­cra­ti­ques. Les ratios ne sont pas un luxe, ils sont un fon­de­ment de la sécu­rité des soins. Et chaque jour qui passe sans les appli­quer, c’est une perte de chance pour les patients… et une perte de sens pour les soi­gnants.

2. La situa­tion fran­çaise : un sous-effec­tif devenu struc­tu­rel

2.1. Hôpital : ten­sion per­ma­nente

La France compte l’un des ratios infir­miers les plus bas d’Europe de l’Ouest.
Dans de nom­breux ser­vi­ces :
 1 IDE pour 10 à 14 patients la nuit,
 1 IDE pour 12 à 18 patients le jour dans cer­tains ser­vi­ces de méde­cine,
 1 IDE pour 30 à 45 rési­dents en EHPAD.

Ces niveaux ne peu­vent pas garan­tir la sécu­rité.

2.2. EHPAD : l’angle mort natio­nal

Malgré les rap­ports IGAS, Cour des comp­tes, Sénat, et les aler­tes répé­tées des soi­gnants, les EHPAD fran­çais res­tent très en des­sous des stan­dards inter­na­tio­naux :
 Allemagne, Scandinavie : 0,9 à 1,1 ETP soi­gnant / rési­dent.
 Finlande depuis 2023 un ratio de 0,7 ETP soi­gnant par rési­dent en EHPAD.
 France : 0,6 ETP en moyenne, avec de gran­des dis­pa­ri­tés.

Résultats : dénu­tri­tion, chutes, trou­bles du com­por­te­ment non accom­pa­gnés, retards diag­nos­ti­ques, hos­pi­ta­li­sa­tions évitables.

2.3. Le coût humain et finan­cier du sous-effec­tif

Le sous-effec­tif génère : plus de com­pli­ca­tions, plus d’urgen­ces satu­rées, plus de réhos­pi­ta­li­sa­tions, plus de mala­dies noso­co­mia­les, plus de jour­nées d’hos­pi­ta­li­sa­tion, et plus d’arrêts mala­die chez les soi­gnants.

Le “manque d’infir­miè­res” coûte cher. L’OCDE le répète : le sous-inves­tis­se­ment dans le per­son­nel est un mau­vais calcul économique.

3. Comparaisons inter­na­tio­na­les : ce que font les pays qui pro­tè­gent leurs patients

Le CII, qui regroupe des asso­cia­tions infir­miè­res de plus de 130 pays, prend posi­tion sans détour. Il plaide pour l’ins­tau­ra­tion de ratios mini­mums infir­mière/patients, défi­nis par spé­cia­lité, fondés sur des don­nées pro­ban­tes, et ins­crits dans des textes oppo­sa­bles. L’orga­ni­sa­tion mon­diale alerte depuis plu­sieurs années : les écarts non jus­ti­fiés entre pays, ser­vi­ces et établissements sont sour­ces de mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle, pour les patients comme pour les soi­gnants.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-infir­miers-une-exi­gence-mon­diale-un-combat-syn­di­cal-une-loi-en-attente.html

3.1. Californie : ratios obli­ga­toi­res depuis 2004

Premier État au monde à impo­ser des ratios légaux :
 Médecine : 1 IDE / 5 patients
 Chirurgie : 1 IDE / 5
 Réanimation : 1 IDE / 2

Résultat : 20 ans après, mor­ta­lité en baisse et attrac­ti­vité retrou­vée.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-patients-infir­miers-l-exem­ple-cali­for­nien.html

3.2. Australie : ratios pro­gres­sifs

Les six prin­ci­paux États aus­­tra­­liens appli­quent des ratios : Victoria (à partir de 2001 dans les hôpi­­taux du sec­­teur public, puis en 2015 les ratios mini­­maux obli­­ga­­toi­­res ont été inté­­grés dans la légis­­la­­tion), Queensland (2015), Western Australia (2002), New South Wales (2011), South Australia (2010) et Austra­lian Capital Territory (2010).
 https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-infir­miers-dans-l-Etat-de-Victoria-Australie.html
 https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-infir­miers-dans-les-autres-Etat-d-Australie.html

3.3 Ratios patients/infir­mière en Corée du Sud

Le Medical Service Act fixe des normes mini­ma­les en « nombre moyen de patients hos­pi­ta­li­sés par infir­mière (RN) » :
 Hôpitaux géné­raux, hôpi­taux et cli­ni­ques : ratio légal de 2,5 patients/jour par infir­mière. En tenant compte de l’occu­pa­tion des lits et des 3 équipes, cela cor­res­pond en pra­ti­que à 6 à 7 patients par infir­mière.
 Hôpitaux de soins de longue durée : 6 patients/jour par infir­mière. Cependant, Les tra­vaux récents mon­trent une forte varia­bi­lité des ratios entre établissements. Une étude rap­porte des ratios obser­vés de 1 infir­mier pour 10 patients.
Depuis 1999, la poli­ti­que de “nur­sing fee dif­fe­ren­tia­tion” vise à encou­ra­ger les hôpi­taux à amé­lio­rer leur grade en échange de tarifs plus élevés. Les hôpi­taux de Séoul et des gran­des métro­po­les ont des ratios plus favo­ra­bles que les hôpi­taux régio­naux ou de petite taille, qui cumu­lent grades bas, turn-over élevé et dif­fi­cultés de recru­te­ment.

4. Pourquoi les ratios sont indis­pen­sa­bles : sécu­rité, équité, attrac­ti­vité

4.1. Sécurité des patients

La sécu­rité ne repose pas sur des pro­cé­du­res, mais sur des humains. Un ratio insuf­fi­sant signi­fie : des sur­veillan­ces espa­cées, des dégra­da­tions non repé­rées, des com­pli­ca­tions évitables, des urgen­ces plus graves, une mor­ta­lité plus élevée.

4.2. Santé publi­que

Les bons ratios amé­lio­rent : l’espé­rance de vie après hos­pi­ta­li­sa­tion, la qua­lité du vieillis­se­ment, le main­tien à domi­cile, la pré­ven­tion des rechu­tes, la lutte contre les renon­ce­ments aux soins.

4.3. Attractivité du métier

Les ratios sont la pre­mière mesure d’attrac­ti­vité. Sans effec­tifs sécu­ri­sés : pas de qua­lité, pas de sens, pas de fidé­li­sa­tion. Les équipes se vident parce que les condi­tions sont inte­na­bles.
Il n’y a pas de "pénu­­rie d’infir­­miè­­res". Il y a juste une pénu­­rie d’infir­­miè­­res qui accep­­tent de tra­­vailler dans des condi­­tions dan­­ge­­reu­­ses.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-patients-infir­mie­res-et-attrac­ti­vite-le-modele-cali­for­nien-Bonnie.html

4.4. Économie de la santé

Contrairement aux idées reçues, aug­men­ter les ratios fait économiser : moins de jours d’hos­pi­ta­li­sa­tion, moins de com­pli­ca­tions, moins de réhos­pi­ta­li­sa­tions, moins d’inté­rim, moins d’arrêts mala­die.
L’inves­tis­se­ment ini­tial est lar­ge­ment com­pensé. Il est impor­­­tant de sou­­­li­­­gner que le coût lié à une aug­­­men­­­ta­­­tion de la dota­­­tion infir­­­mière peut être lar­­­ge­­­ment récu­­­péré par l’établissement. Cela s’expli­­­que par le lien confirmé entre une aug­­­men­­­ta­­­tion de la dota­­­tion infir­­­mière et la dimi­­­nu­­­tion de la durée du séjour, des réad­­­mis­­­sions, de la mor­­­bi­­­dité, des erreurs médi­­­ca­­­les et du rou­­­le­­­ment du per­­­son­­­nel infir­­­mier.
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ameliorer-les-ratios-infir-miere-patients-est-aussi-ren­ta­ble-3087.html

5. Les pro­po­si­tions du SNPI : un cadre clair, simple, appli­ca­ble

5.1. Ratios natio­naux mini­maux

Le SNPI défend des seuils sim­ples :
 Médecine ou chi­rur­gie : 1 IDE / 6 patients
 SSR : 1 IDE / 8
 EHPAD : 1 ETP soi­gnant / rési­dent
 Urgences : ren­fort sys­té­ma­ti­que aux pics d’acti­vité

5.2. Un finan­ce­ment sanc­tua­risé

Les ratios doi­vent être assor­tis : d’un budget dédié, d’un plan plu­rian­nuel, d’indi­ca­teurs trans­pa­rents par établissement.

5.3. Un contrôle indé­pen­dant

Une agence dédiée ou un ser­vice spé­cia­lisé pour­rait : cer­ti­fier les ratios, ana­ly­ser les don­nées, publier des cartes régio­na­les, aler­ter en cas de non-confor­mité.
Les ratios doi­vent être inté­grés dans les réfé­ren­tiels qua­lité HAS.

5.4. Un plan de for­ma­tion et de fidé­li­sa­tion

Sans attrac­ti­vité, pas de ratios dura­bles :
 salai­res ali­gnés sur la moyenne OCDE,
 QVT réelle,
 poli­ti­que de car­rière,
 reconnais­sance des com­pé­ten­ces infir­miè­res

6. Conclusion : sans ratios, pas de sécu­rité. Sans sécu­rité, pas de sys­tème de santé.

Les ratios infir­miers ne sont pas un luxe. Ils ne sont pas une reven­di­ca­tion caté­go­rielle. Ils ne sont pas une dépense évitable. Ils sont la condi­tion de base pour assu­rer la sécu­rité des patients, l’équité des soins, la qua­lité des prises en charge, la pré­ven­tion des com­pli­ca­tions et l’attrac­ti­vité de la pro­fes­sion.

Améliorer le ratio patients/infir­mière ne relève pas uni­que­ment d’une ques­tion de nombre : c’est un enjeu de gou­ver­nance, de valo­ri­sa­tion de la pro­fes­sion infir­mière, de for­ma­tion et d’éthique du soin. Pour un sys­tème de santé plus sûr et plus dura­ble, la mise en œuvre effec­tive de ces stan­dards doit deve­nir prio­ri­taire.

La France a choisi d’ins­crire les ratios dans la loi. Le défi est désor­mais de les faire vivre, de les finan­cer, de les contrô­ler et de les géné­ra­li­ser à tous les sec­teurs, sans déro­ga­tion ni contour­ne­ment.

Les tra­vaux de la HAS, puis les textes régle­men­tai­res vont devoir défi­­nir les seuils par spé­­cia­­lité, inté­­grer les temps de soins indi­­rects, pren­­dre en compte les spé­­ci­­fi­­ci­­tés des prises en charge com­­plexes. Mais la direc­­tion est claire : il faut arrê­­ter de soi­­gner à flux tendu. Il faut sortir de la logi­­que du « tou­­jours moins ».
https://syn­di­cat-infir­mier.com/Ratios-patients-par-soi­gnant-une-avan­cee-vitale-face-a-ceux-qui-pre­fe­rent-l.html

Le SNPI conti­nuera de porter cette exi­gence, parce qu’elle est essen­tielle pour les patients, pour les soi­gnants et pour l’avenir de notre sys­tème de santé.

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